Conclusion
FEUX
DE FORÊT
u cours des années 1867-1868, le feu frappa avec une étonnante intensité. Le Québec, gestionnaire de ses forêts depuis l’entrée en vigueur de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (1867), décida de se pencher sur le problème. Un comité d’experts fut réuni pour accueillir propositions et idées et une première loi préventive fut adoptée en 1870. Dans le mur d’incrédulité auquel ils s’étaient heurtés jusqu’alors, les promoteurs de la protection avaient ouvert une brèche en démontrant qu’il était possible d’agir malgré de faibles moyens.
A
Toutefois, la pression toujours grandissante que subissait la forêt québécoise exigeait une organisation structurée et permanente. Pendant plusieurs années, l’industrie forestière et le gouvernement québécois se renvoyèrent la balle quant à la responsabilité de l’une et de l’autre dans ce domaine. Finalement, le gouvernement trancha en 1889 en imposant une taxe de feu. Le partage des dépenses entre les deux partenaires et une répartition équitable entre chacun des concessionnaires inauguraient un mode de gestion qui allait perdurer jusqu’à nos jours. Demeuré embryonnaire un certain temps, le premier réseau de protection fut solidement implanté dans la région de l’Outaouais en 1894, puis dans le nord de Montréal et dans le bassin de la rivière Saint-Maurice quelques années plus tard. Graduellement, des zones de protection plus fortement protégées furent établies. La division entre territoires à protection intensive et restreinte allait déterminer le type d’intervention à appliquer dans la forêt québécoise. Satisfait des résultats obtenus dans ces régions, le gouvernement pensait que ce système, limité à l’ouest de la province, devait s’appliquer à l’ensemble des forêts d’utilité publique. Pour ce faire, il proposa d’augmenter la taxe mais, à la demande des concessionnaires, abandonna l’idée. Cette décision eut pour effet
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L’ H I S T O I R E
D’UNE GUERRE
de favoriser l’initiative de l’industrie forestière dans les opérations de lutte contre le feu. En 1912, les concessionnaires de la Mauricie se regroupèrent dans un organisme coopératif : The St. Maurice Forest Protective Association. Des entrepreneurs généralement en compétition s’unifiaient alors pour protéger leur intérêt commun. Entre 1912 et 1924, à l’instar de la St. Maurice Ass., cinq autres associations se formèrent dans le but de développer de nouveaux moyens techniques et de répartir plus efficacement les forces. La coopération et l’adaptation sont encore deux caractéristiques fondamentales du système de protection québécois. Les organismes de protection ont toujours mis à jour leur savoir-faire et leur équipement pour lutter contre le feu. Leurs initiatives, souvent avant-gardistes, furent toujours guidées par un principe directeur : protéger la forêt de manière efficace et économique. L’exemple de La Vigilance, premier avion de détection, est représentatif de l’attitude des dirigeants du système de protection. Malgré l’indéniable supériorité de l’avion sur la tour d’observation, ils jugèrent plus pertinent de diversifier leurs moyens que de les concentrer. Un système à paliers, cherchant un juste équilibre entre la prévention, la détection et la suppression des incendies, caractérise encore l’organisation de la protection. Enfin, qu’en est-il de l’efficacité du système de protection ? Sans tomber dans les nombreuses statistiques qui furent produites tout au long de l’histoire, on peut remarquer une progression constante dans l’atteinte de l’objectif dominant : minimiser les dommages causés par les incendies forestiers tout en maintenant le coût des activités à l’intérieur de limites acceptables. La superficie incendiée dans les secteurs de protection intensive diminua constamment, et ce, malgré un territoire accru et une rationalisation des dépenses et des effectifs depuis 1972. Le système a aujourd’hui atteint sa pleine maturité. Cependant, une brèche a été ouverte dans nos connaissances en matière de feux de forêt, en avril 2002, alors que la plupart des spécialistes de la protection se réunissaient pour participer à un colloque sur l’aménagement forestier et le feu. La plupart des recherches dans ce domaine démontrant que le feu fait partie intégrante des écosystèmes forestiers, de nouvelles approches furent proposées. Presque utopiques, contestées, elles laissent entrevoir une véritable révolution. Il semblerait donc qu’une toute nouvelle histoire se présente devant nous.
Patrick Blanchet 29 avril 2003