CHAPITRE – L’OPINION PUBLIQUE SECTION I – LA NAISSANCE DE L’OPINION PUBLIQUE Document 1 : Comment se fait-il qu'un Breton qui pratique sa religion de façon très scrupuleuse dans son village, lorsqu'il arrive à Paris, dans la grande majorité des cas, abandonne toute pratique religieuse ? C'est le fameux problème du trottoir de la gare Montparnasse et de son effet sur la pratique religieuse qui donnait tant à réfléchir à G. Le Bras. (...) Au village le fils de la famille Untel va à la messe et n'a pas à s'affirmer en tant que catholique ni à exprimer verbalement une opinion sur ses croyances religieuses. Son attitude religieuse est une attitude diffuse et profonde, qui se manifeste, s'actualise dans un certain nombre de comportements réglés par le groupe social. La pression sociale organise les comportements et entrave l'expression verbale d'opinions. Il serait indécent de dire ce que l'on pense sur des sujets importants comme la religion. On peut parler de la pluie et du beau temps, mais on n'a pas à remettre en question l'ordre de l'univers et les croyances au sujet de l'Au-delà. En ville, arrivant de son village où il n'a jamais eu l'habitude d'exprimer verbalement ses opinions religieuses, le Breton a le sentiment qu'aller à la messe le dimanche, c'est affirmer une opinion religieuse, par opposition à ceux qui n'y vont pas et qui ne l'affirment pas. C'est donc une démarche inhabituelle pour lui et qui lui est relativement difficile. S'il ne va pas à la messe à Paris, à Vitry ou à Choisy, alors qu'il y allait dans son village, cela ne veut pas dire qu'il croit ou qu'il ne croit pas, mais simplement qu'il n'a pas encore fait l'apprentissage de son nouveau milieu social et qu'il trouve inconvenant « de s'afficher », comme on dit en langage courant. Source : H Mendras, éléments de sociologie, A Colin, 1972. Questions : 1. Pourquoi le paysan breton n'a t'il pas d'opinion ? 2. Comment la pratique religieuse évolue telle quand un paysan breton quitte son village pour se rendre à Paris, donnez en les raisons. 3. Pourquoi dans une société de type holiste l'opinion individuelle n'existe telle pas ? Document 2 : A: Individualité et société : le modèle libéral et l'homo politicus Selon le discours de l'idéologie libérale, l'individu est l'unité fondamentale de la société politique. La légitimité de cette dernière repose sur la croyance en des citoyens égaux, capables grâce à la raison, dans un contexte de concurrence des opinions, d'assurer un ordre politique qui respecte les droits naturels fondamentaux des individus. L'homo politicus libéral, source et architecte de la volonté générale, est un citoyen qui porte intérêt aux choses du bien commun ; grâce à sa raison, il est capable d'opiner rationnellement sur les problèmes de la communauté et d'émettre des avis soucieux de l'intérêt général. Dans ce cadre, le procédé du suffrage universel est le moyen d'expression par excellence en fournissant aux citoyens l'occasion d'émettre des avis, égaux, responsables et libres . Source : J Padioleau, l'opinion publique, Mouton, 1981. B: Ces modes d'observation tirent leur légitimité originaire remarque J Galtung de certitudes véhiculées par l'idéologie libérale: • les individus possèdent des opinions , • ces opinions méritent d'être mises à jour, • les citoyens sont en mesure de les communiquer verbalement. Source : op cité . C: Arrêtons-nous un instant pour considérer avec magnanimité le public classique dans la théorie démocratique, à propos duquel Rousseau s'est écrié : « L'opinion, Reine du monde, n'est pas soumise au pouvoir des rois ; ils en sont euxmêmes les premiers esclaves. »
La caractéristique clé de l'opinion publique telle qu'elle fut engendrée par la montée des classes moyennes démocratiques est la liberté de discussion. Dans cette communauté de publics quiconque veut parler le peut et quiconque y est intéressé le fait. Les possibilités de répondre, d'organiser des moyens d'expression autonomes, de concrétiser son opinion, sont inhérentes aux institutions démocratiques. L'opinion publique, résultat de la discussion, émane alors de l'action publique ; c'est, en un sens, la « volonté générale » que les parlements ou congrès promulguent en lois, lui donnant ainsi force institutionnelle. Le parlement, en tant qu'institution, couronne tous les publics primaires. C'est l'archétype pour chacun de ces petits cercles éparpillés au sein desquels les citoyens discutent des affaires publiques. L'idée d'opinion publique au XVIIIe siècle peut être mise en parallèle avec la notion économique de marché de libre concurrence. Ici, le public composé de cercles de discussion, pairs couronnés par le parlement ; là, un marché de libre concurrence entre entrepreneurs. De la même façon que le prix est le résultat d'une négociation entre individus anonymes et de force égale, l'opinion publique est le résultat de la réflexion de chaque individu contribuant de par son poids à la formation générale de l'opinion. À la vérité, certains peuvent avoir plus d'influence que d'autres sur la formation de l'opinion, mais aucun homme ni groupe ne monopolise la discussion, ou ne détermine par lui-même l'état de l'opinion qui prévaut. Source :C. Wright Mills, in J. Padioleau, L'Opinion publique. Mouton, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1981. Questions : 1. Sur quels postulats repose la légitimité de la société politique libérale ? ( documents A et B ) 2. Expliquez la phrase de Rousseau, quel élément est à l’origine de l’apparition et du développement de l’opinion publique 3. Quel parallèle CW Mills établit-il entre opinion publique d'une part, et prix sur un marché de CPP d'autre part ? Que cela traduit-il ?
SECTION II-DEFINITION ET MESURE DES OPINIONS I – DEFINITION Document 3 : La définition de l'opinion, selon Jean Stoetzel1 dans la Théorie des opinions, est la suivante : « L'expression d'une opinion est la formule nuancée qui, sur une question déterminée, à un moment donné, reçoit l'adhésion sans réserve d'un sujet. » Cette définition ne soulève aucun problème philosophique d'aucun ordre : c'est une définition opératoire, autrement dit une définition qui permet de faire une enquête. Je définis comme opinion de M. X la phrase sur laquelle M. X me dit qu'il est d'accord. « Aimez-vous Mitterrand un peu, beaucoup, pas du tout ? » Si M. X me dit « je l'aime un peu » et qu'il ait le sentiment qu'il peut donner son accord complet sur cette formulation « je l'aime un peu », l'opinion de M. X sur Mitterrand sera « je l'aime un peu » . Une fois cette convention simple, mais fondamentale, établie, les difficultés surgissent. Si la même question est posée à un grand nombre d'individus qui répondent en formulant un accord sur l'une des trois nuances : « j'aime Mitterrand, un peu, beaucoup, pas du tout », leurs réponses forment un éventail d'opinions à l'égard de Mitterrand. On dispose donc là d'un instrument de recherche qui permet de se faire une idée précise sur la façon de penser et de sentir d'un groupe ou d'une catégorie d'individus. Par définition, l'opinion est un accord avec une formule nuancée, sur une question déterminée et à un moment donné. Par conséquent, si la question déterminée se trouve être changée dans sa formulation ou dans son contexte social, l'individu à qui l'on pose la question n'y répondra pas exactement de la même façon. En outre, on pose une question par référence à une situation donnée à un moment donné et, par définition, les situations historiques changent – et le moment change constamment. Il est donc normal de changer d'opinion en fonction de l'évolution de la situation extérieure. Source : H Mendras, Eléments de sociologie, A Colin, 1989. Questions : 1. Quels sont les critères permettant de définir le terme opinion? 2. En fonction de quels déterminants l'opinion publique peut-elle évoluer ?
II – UNE TECHNIQUE DE MESURE DES OPINIONS : LES SONDAGES Document 4 :
Des journaux américains, le Harrisburg Pennsylvanian et le Raleigh Star dès le XIXe siècle, organisaient des « votes de paille » consistant à appeler leurs lecteurs, par les procédés les plus variés, à dire leurs intentions de vote aux élections présidentielles. Les résultats étaient ensuite publiés. Le grand nombre de réponses n'assurait pour autant aucune représentativite de l'électorat n'avait aucune valeur prédictive. Ces opérations de vote de paille avaient avant tout une fonction de promotion commerciale des journaux qui les organisaient. En 1936, le Literary Digest mit en place un gigantesque vote de paille donnant lieu à deux millions quatre cent mille réponses et prévoyant la victoire d'Alfred Landon, tandis que George Horace Gallup qui, à la suite d'Emo Râper et d'Archibald Crossiey, avait créé son institut l'année précédente, à partir d'échantillons de quelques milliers de personnes, annonçait la victoire de Frankiin Delano Roosevelt. Ces succès de prévision électorale impressionnèrent : d'une part, ils lièrent, dans les représentations du public et des médias, sondages et démocratie, d'autre part ils donnèrent, par la production de résultats chiffrés exacts, un statut scientifique à la méthode et à leurs opérateurs. (….) Après la seconde guerrre mondiale, des universitaires reconnus comme J Stoezel ont fondé des instituts de sondages, ils suscitent enthousiasme et critiques. On croit à cette époque au mariage de la science et de la politique, et la dimension scientifique de la méthode est conforme aux aspirations des milieux progressistes. Le Peuple, organe de la CGT, parle de l'Ifop en ces termes : « Un instrument nouveau est ainsi fourni à la démocratie pour connaître objectivement l'état et les mouvements de l'opinion. Souhaitons que le gouvernement sache, parfois, tenir compte des résultats obtenus. » Cette prise de position du journaliste du Peuple est conforme aux intentions de Stoetzel qui écrira : « Les sondages d'opinion publique sont devenus une véritable institution dont l'existence ne saurait plus être mise en cause. Leurs progrès s'inscrivent dans le sens d'une meilleure organisation des rouages si complexes de la société moderne de masse. Grâce à eux, les hommes d'État disposent d’un moyen d’information à la fois plus souple et plus continu que les consultations électorales , auxquelles ils ne sauraient en aucun cas se substituer » . Source : J.de Legge , Sondage et démocratie , Flammarion , 1998 Questions : 1. Qu’est-ce-qu’un vote de paille ? Quelles sont ses faiblesses ? 2. Comment l’élection de Roosevelt aux Etats-Unis a-t-elle contribué au lancement des sondages d’opinion ? 3. Sur quels éléments s’appuient l’organe de la CGT Le Peuple comme J.Stoetzel pour démontrer l’apport que représentent alors les sondages ? Document 5 : Le principe du sondage est le suivant : il s'agit d'étudier la distribution d'un caractère dans une partie de population pour en inférer, c'est-à-dire en déduire, la distribution dans l'ensemble de la population, avec une .marge d'erreur susceptible d'être calculée .La théorie des probabilités, élaborée par Pascal et Fermat et systématisée par Bernouilli, en constitue le fondement mathématique. Elle permet de trouver à partir de quelle taille un échantillon tiré au hasard est représentatif d'un ensemble, et elle indique la précision obtenue ;L'exemple classique est celui du sac de billes contenant en nombre égal et en grande quantité des billes noires et des billes blanches. La théorie démontre, et l'expérience confirme, que le nombre de billes noires, chaque fois que l'on sort au hasard cent billes du sac, a 95 chances sur cent de se situer entre 45 et 55. Soit une marge d'erreur de 10 = + ou - 5 % par rapport à la proportion réelle de billes noires (50 ). Quand la taille de l'échantillon augmente, la précision augmente aussi : la marge d'erreur est divisée par dix quand la taille de l'échantillon est multipliée par 100. Pour 10 000 billes, la marge d'erreur serait de 1 ... Les conséquences sont importantes : • la représentativité d'un échantillon est fonction de sa taille et non du taux de sondage (taille de l'échantillon rapportée à la taille de la population étudiée) ; • la précision additionnelle est de plus en plus coûteuse et les instituts de sondage se contentent généralement d’échantillons de 1 000 à 2 000 individus (échantillon de 1 600 personnes : marge d'erreur de plus ou moins 2 %) ; • la représentativité est une propriété de l'ensemble de l'échantillon et non des individus qui le composent : le boucher parisien dans un échantillon représentatif de la population française n'est pas représentatif des bouchers parisiens. Source : L.Blondiaux , Institutions et vie politique , Les sondages , La Documentation française Questions : 1. Sur quels principes de base repose la théorise des sondages ? Quel en est le fondement ? Expliquez avec vos propres termes les trois conséquences qui se situent à la fin du texte .
III – LA MESURE DE L’OPINION , UNE TECHNIQUE COMPLEXE A METTRE EN ŒUVRE
A – LA PRISE EN COMPTE DE LA SITUATION DANS LAQUELLE EST OPERE LE SONDAGE Document 6 : En général, l'enquête crée elle-même la situation dans laquelle l'opinion s'affirme. Il s'agit donc d'une situation artificielle qui ne ressemble nullement aux conditions habituelles qui accompagnent la formulation des opinions. L'enquêteur est un étranger ; il lève des questions sur lesquelles les personnes interrogées n'ont pas forcément réfléchi ; il n'est pas un interlocuteur : la relation est à sens unique. Voilà qui est essentiel pour la compréhension des résultats d'un sondage : aussi scrupuleux que soit le travail de l'enquêteur,aussi authentiques que soient les réponses, il demeure que dès le départ les opinions recueillies se sont manifestées dans un contexte anormal. Dans les sciences physiques, les techniques de mesure et d'observation modifient déjà l'image du phénomène mesuré. Ce qui est vrai des sciences de la nature l'est a fortiori des science humaines. Source : F Le Bon , les sondages peuvent-ils se tromper, Calman-Lévy, 1974. Questions : 1. Expliquez, pourquoi selon Le Bon le sondage crée une situation artificielle, quelles répercussions cela peut-il avoir sur la réponse du sondé ? 2. Comment le sondeur doit-il agir pour minimiser son influence sur le sondé ? Document 7 : II semble en effet que l'individu sondé souhaite ne pas apparaître comme ignorant devant l'enquêteur. Il peut aussi volontairement exprimer des propos fantaisistes ou tout simplement éprouver des difficultés à répondre « non » Lorsqu'on mesure la notoriété d'hommes ou de femmes politiques, on insère parfois un nom fictif, qui récoltera immanquablement un pourcentage de partisans Source : H.Meynaud et D.Duclos , les sondages d’opinion , Repères , La Découverte. Questions : 1. Quel est l’intérêt de mesurer le pourcentage de partisans d’une personnalité qui n’existe pas ? 2. Quel biais des sondages cela traduit-il ?
B – L’ART DE BIEN POSER LES QUESTIONS Document 8 : Une question prend une signification différente selon le niveau culturel de l'interrogé, sa catégorie socioprofessionnelle et une multiplicité d'autres facteurs. Une interrogation pertinente pour une catégorie de personnes perd tout sens pour d'autres catégories. Le phénomène est parfois évident, donc contrôlable : il est absurde de consulter des célibataires sur l'avenir professionnel de leurs enfants. Mais les réponses n'ont pas non plus grande valeur lorsqu'elles proviennent de gens dont les enfants sont déjà engagés dans la vie active. Or le principe même des sondages - l'étude quantifiée des phénomènes d'opinion – postule l'homogénéité des réponses. Et les propriétés statistiques qui fondent la représentativité des échantillons ne sont valables que dans la mesure où le phénomène observé est univoque . Source : F. Le Bon , op cité Questions : 1. Quel est le postulat sur lequel reposent les sondages ? 2. Ce postulat paraît-il vérifié à l’auteur ? Pourquoi ? Document 9 : Lorsqu'on demande : « prenez-vous souvent des vacances ? », le mot « souvent » peut représenter une fois par an, une fois par semaine, etc. Il est alors absolument nécessaire de recouper cette question par d'autres pour bien cerner ce qu'elle implique pour les personnes concernées (durée réelle, espacement, points de chute correspondant aux types de vacances, etc.). (...) On retrouve le même type de problème avec des notions comme celle de comportement effectif (pour qui avez-vous voté aux dernières élections ? êtes-vous adhérent à un syndicat ? avez-vous acheté un piano ?) ou virtuel (si vous disposiez d'assez d'argent pour... qu'aimeriez-vous choisir ?...). En effet, dans. la plupart des situations réelles, demander à quelqu'un comment il s'est comporté, ou se comporterait si..., revient à évoquer l'engagement dans un acte qui l'implique dans ses conséquences, plus nettement qu'une simple opinion souvent ambiguë et modifiable à tout moment. C'est pourquoi il peut être tenté de ne pas répondre. Source : H.Meynaud et D.Duclos , op cité Questions :
1. Quels sont les deux exemples que l’auteur utilise pour démontrer que l’élaboration de la question peut biaiser la réponse ? Document 10 : A: Une question est dite inductrice quand elle conduit la personne à répondre plutôt d'une certaine manière que d'une autre. Le mécanisme peut en être très simple : par exemple, lorsqu'on demande : « êtes- vous d'accord... », on pousse la personne vers une réponse plutôt positive. C'est l'une des raisons qui légitime le recours à des échelles allant de plus au moins d’accord, avec le risque d'une dérive des réponses, cette fois vers le milieu. L'induction peut également découler de la position d'une question par rapport à d'autres ou après un commentaire qui la présente : ce qu'on appelle l'effet de halo. Par exemple, lorsque l'on demande d'abord à quelqu'un si « la venue de la gauche au pouvoir a eu des effets économiques catastrophiques », et ensuite : « Voterez-vous pour la gauche aux prochaines élections ? », la réponse à la seconde question sera influencée par la première. En général, la production délibérée d'effets d'induction s'opère en associant dans la question elle-même une appréciation négative ou positive à la description de l'objet sur lequel on demande par ailleurs un jugement à la personne interrogée Source : H.Meynaud et D.Duclos , op cité B: Pensez-vous que les États-Unis doivent autoriser les discours publics contre la démocratie ? Doivent autoriser...................................... 21 Ne doivent pas ......................................... 62 Sans réponse ........................................... 17 Pensez-vous que les États-Unis doivent interdire les discours publics contre la démocratie ? Ne doivent pas interdire ........................... 39 Doivent interdire ................................... 46 Sans réponse ........................................... 15 Source : F.Le Bon , op cité Questions : 1. Qu’est-ce qu’une question inductrice ? 2. Définissez l’effet de halo 3. Que constatez-vous dans le document B ? Quelles précautions méthodologiques s’imposent donc aux sondeurs ?