Bohumil Hrabal Une Trop Bruyante Solitude

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Vincent Bonnefille Octobre 2008 (2e année)

« L’ART DE L’OBJET / L’OBJET DE L’ART

ENSAPC >

Fiche de lecture

— Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal —

Bohumil Hrabal (1914-1997), Tchèque, commence jeune à écrire, mais ne réussit à se faire publier qu’en 1963. Entre-temps, il est employé à des tâches manuelles, notamment dans un dépôt de vieux papiers (profession de « Hanta », narrateur dans l’œuvre étudiée plus bas)… Le nazisme arrive dans son pays. Il connaît une censure (par le régime communiste en place) dès 1970 et jusqu’à 1976, date de la publication de son roman Une trop bruyante solitude dont il dit : « Je ne suis venu au monde que pour [l’] écrire. » Il écrit une quinzaine de livre et devient vite populaire… Dans ce roman, le lecteur suit Hanta, travailleur qui, depuis trente-cinq ans, compresse du papier, des montagnes de papier qui lui viennent de partout du dehors… hors de sa cave où il est installé avec sa presse hydraulique, comme coupé d’un monde qui pourtant le submerge, l’envahit. Son chef ne voit en ces amas de papiers que déchets, détritus venus de boucheries, de commerces, de bibliothèques… d’ici et d’ailleurs, pour être réduits en paquets, compressés, vendus au poids. Il glisse parfois la tête par la porte qui donne sur les tréfonds où œuvre Hanta. Ce dernier nous raconte sa vision de ce qu’il vit, là, à Prague, comment, comme il le répète, il reproduit ses gestes à la presse, combien il découvre le monde par ces livres qu’il choisit dans la masse informe qu’on déverse dans la cour donnant sur sa cave. Il boit de la bière pour être plus efficace… plus encore dans les mots, dans les phrases qui nourrissent son appétit de découverte. Et de ses trouvailles, il fait des paquets, livres ouverts aux pages qui l’intéressent, dorures et reproductions d’images apparentes (exemple : des peintures de Van Gogh). Il fait plus que compresser du papier qu’il enferme dans des fils de fer voués à la destruction, à l’oubli… il est passionné par ce qu’il crée, attentionné, curieux. Son comportement exaspère son chef qui le voit perdu dans ces ouvrages qu’il a aménagé telle une grotte (entouré comme chez lui des livres qu’il sauve de sa presse). Car là est bien la question pour Hanta d’une accession à quelque chose de supérieur. Par la lecture, il imagine la présence d’hommes et de femmes… la venue de penseurs ou de religieux (Lao Tseu, Jésus…) qui se mêlent à ses souvenirs (anecdotes sur son passé), fictions, rencontres réelles, qui l’accompagnent dans sa bruyante solitude au fond de sa cave attaquée par les rongeurs dont il imagine la guerre souterraine… Il évoque ainsi Hegel, Kant, Goethe… Oui, Hanta voit dans ses paquets compressés l’occasion d’être plus ou mieux qu’un destructeur, de s’échapper dans un au-delà. Mais, fatalement, il finira sa course, comme déchu, au fond de sa cave… Il est en fin de compte autant question du regard sur l’objet, de l’implication de son créateur, que de l’influence de l’objet sur son créateur lui-même. Hanta est, durant toute l’histoire, tiraillé d’un monde réel où il travaille à un état où le mènent ses lectures, les mêlant les unes aux autres dans une ivresse qui n’est pas seulement due à l’alcool. Hanta s’élève et cherche à donner un autre statut aux livres que celui de matière, comme peuvent les considérer des ouvriers qu’il rencontre à Budlly (et qui finissent d’ailleurs par le remplacer pour leur efficacité à détruire leurs « prises de guerre » — regard sur le totalitarisme nazi exterminateur), ou d’objets sans intérêt par son chef qui lui dit par exemple : « Bon Dieu ! Arrête de 1/2

Vincent Bonnefille (2e année)

— Fiche de lecture : Une trop bruyante solitude de

Bohumil Hrabal —

loucher sur tes livres […] » (partie I). Il est donc aussi bien question du regard extérieur vis-à-vis de l’intérêt de la minutie sélective à laquelle s’applique Hanta. En effet, les livres ne sont pas même vus par les autres comme détenteurs de sens… Il ne sont que papier, matière et encre ; ils ont perdu leur singularité et sont rendus au rang de masse de déchet vendue au kilo. Hanta semble donc le dernier de ce microcosme à voir en ces livres des signes, des mots puis des connaissances... Et c’est contre cette matière gluante, cette boue (partie V : « Ce papier transformé en glaise ») qu’il se bat. Les livres sauvés de peu de la disparition l’entourent dans toute sa vie, et il en fait profiter des professeurs, des penseurs, des amis (extérieurs)… Ces livres et ce qu’ils contiennent sont toute sa vie, et deviennent intimement liés jusque dans les images qu’il emploie : « C’est une fois pressés que nous donnons le meilleur de nous-mêmes » (partie II et repris à la fin de la partie VIII). En fait, il allie fond et forme : en donnant un sens à son travail, il trouve une forme plastique telle une projection de sa personne. Il crée des paquets, choisissant leurs contenus, imaginant même, à sa retraite, en faire une exposition… comme libéré de sa cave (partie V : « J’avais vu ou vécu, corps et âme, dans ma trop bruyante solitude, je m’étonnais de constater que le travail me projetait dans le champ de la toute puissance infinie »). Les livres sont ainsi, même plus que cela… Ils sont la matière signifiante de ces paquets « mûrement choisis ». Ils changent de statut et donc d’utilisation, de portée (il parle de ces compressions animant celui qui les regarde comme le fait une œuvre d’art : « Le spectateur sensible [peut] vivre la sensation d’être pressé par ma presse mécanique »). Ses paquets ont de ce fait un autre objet, une autre dimension, une autre portée… Hanta, en créant ses rapprochements d’œuvres, ses aménagements, fait plus que d’interdire les livres à l’oubli, il les porte au statut d’objets d’art. Les livres, objets, n’ont plus d’emprise sur lui (par l’addiction qu’ils lui procurent en lui permettant une ouverture sur des mondes qui animent sa solitude) mais c’est lui qui en fait des objets extérieurs, comme une projection de lui-même. Au final, c’est de sa disparition et de celle de toute une culture, imprimée sur une mémoire de papier, dont il est question : une génération lui succède et continue sans lui, abandonné dans sa cave avec ses vécus, ses craintes, ses solitudes… Son œuvre, ses choix de livres, ses prises de position sont les seules traces de sa sensibilité sur les livres, les savoirs, la vie. Ses paquets de livres sont donc une recherche de sens ou du moins un acte de refus dans sa solitude : un moyen d’expression. Tel que le dit son chef vers la fin (partie VIII) : «Ton cerveau n’est rien d’autre qu’un paquet d’idées écrasées »… Hanta est, comme il le dit lui-même, « corps et âme » dans son ouvrage.

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