98-451

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Néphrologie - Urologie

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Hyperkaliémie Étiologie, physiopathologie, diagnostic, traitement Pr Dominique CHEVET Service de néphrologie, CHRU, hôpital du Bocage, 21034 Dijon cedex

Points Forts à comprendre

Physiopathologie 1. Potassium dans l’organisme

• L’hyperkaliémie peut mettre en jeu le pronostic vital de par son risque cardiaque. Elle est sans traduction clinique lors de sa constitution. Elle n’a, en outre, aucune spécificité dans son expression clinique ultérieure. • Il est exceptionnel que l’hyperkaliémie survienne comme un événement isolé, sa génération dépend d’autres désordres, hydroélectrolytiques ou acidobasiques surtout. L’important consiste donc à la détecter préventivement, avant ses complications, par la connaissance des circonstances favorisantes. La correction des troubles associés permet la régularisation de la kaliémie et constitue la véritable prévention des accès hyperkaliémiques. • Le traitement doit être adapté au degré de l’hyperkaliémie. Seules celles qui sont menaçantes, habituellement associées à une insuffisance rénale sévère, imposent un traitement d’urgence.

Étiologie Dans les conditions physiologiques, le rein équilibre le bilan du potassium et un très large excès d’apport est naturellement compensé par des pertes urinaires de K+ équivalentes. Après absorption alimentaire, il existe une élévation transitoire du K+ plasmatique et cellulaire qui induit une kaliurèse par stimulation directe de synthèse de l’aldostérone et sécrétion distale. C’est pourquoi les circonstances de survenue d’hyperkaliémie dépendent d’autres événements que l’excès d’apports. Le système qui opère le plus souvent est celui d’un transfert massif à partir des cellules dont la teneur en K+ est élevée (env. 150 mmol/L). Dans cette redistribution vers le secteur extracellulaire, le stock global du potassium de l’organisme ne varie pas. Mais il peut s’agir d’un défaut de l’excrétion rénale ; dans ce cas la balance du potassium devient positive pour l’ensemble de l’organisme. En dehors des hyperkaliémies factices, les causes s’envisagent en fonction de ces deux mécanismes essentiels et qui sous-tendent les options thérapeutiques : les hyperkaliémies par transfert et les hyperkaliémies par défaut d’excrétion rénale.

Le potassium est le principal cation intracellulaire ; 98 % du K+ de l’organisme est contenu principalement dans les muscles sous forme ionisée, échangeable ou liée au glycogène ou aux protéines. La concentration cellulaire est en moyenne de 150 mmol/L. L'électroneutralité de la cellule est assurée par les macromolécules anioniques et les phosphates inorganiques. La totalité du stock potassique représente environ 3 500 mmol pour un adulte et est pour l’essentiel fonction de la masse musculaire. En revanche, à peine 2 % du potassium total se trouve dans le secteur extracellulaire où la concentration plasmatique varie normalement de 3,5 à 5 mmol/L. Le déséquilibre entre les secteurs est donc patent, à la fois en masse et en concentration au profit du compartiment cellulaire. Les fortes concentrations intracellulaires sont nécessaires au fonctionnement de nombreuses enzymes, à la conservation du volume et du métabolisme cellulaire… Une différence de potentiel de membrane doit être maintenue suffisamment élevée pour qu’agissent la conduction nerveuse, la contraction musculaire. Une forte différence de concentration du K+, de part et d’autre de la membrane, participe au maintien de ces activités. L’excitation du muscle cardiaque est particulièrement sensible aux variations de teneur en potassium du liquide extracellulaire.

2. Échanges potassiques Cette inégalité de répartition du potassium dans l’organisme n’est cependant pas un obstacle aux échanges entre les compartiments. Une régulation physiologique maintient ce gradient grâce à l’intervention de plusieurs facteurs, rapides, sensibles et adaptés aux variations des apports et des sorties du potassium. L’insuline provoque une entrée du K+ dans le milieu cellulaire ; les catécholamines, par la stimulation des récepteurs β2-adrénergiques favorisent aussi l’entrée cellulaire du potassium ; l’acidémie favorise la sortie du potassium des cellules et élève la kaliémie par simple mécanisme de transfert. L’alcalose a l’effet inverse. Mais ces effets sont marginaux en dehors d’une charge acide aiguë ou de pertes abondantes en bicarbonates. Ces possibilités de transfert interne expliquent que la kaliémie n’est ni le reflet de l’état du « pool » potassique, ni le témoin fidèle de ses variations. L’hyperkaliémie n’est pas synonyme d’excès en K+ pour l’organisme. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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Étiologie des hyperkaliémies Hyperkaliémies factices – Prélèvement sanguin ischémique (garrot) – Prélèvement hémolysé – Thrombocytémies > 106/mm3, hyperleucocytoses > 2.105/mm3 Hyperkaliémies par libération excessive du K+ intracellulaire = transfert à partir des cellules – Acidose aiguë chronique → métabolique, respiratoire – Défaut d’insuline (hyperglycémie ++) – Lyse cellulaire brutale (exercice physique excessif, chimiothérapie avec lyse tumorale, hémolyse intravasculaire…, rhabdomyolyses, catabolisme tissulaire accru, brûlures étendues, hémorragie digestive ++) – Blocage β-adrénergique : traitement par β-bloquants – Intoxication théophylline ; intoxication digitalique (inhibition Na/K ATPase) ; au baryum ; à la succinylcholine ; à la cocaïne – Paralysie périodique familiale (syndrome de Garmstorp) Hyperkaliémie par augmentation du pool potassique = bilan positif du K+ Par excès d’apport en K+ • Nécessite une oligurie ou anurie++ : – sels de régime – perfusions inadéquates (Ringer) : . transfusions massives . sang hémolysé… . post cardioplégie…

Par défaut d’élimination rénale du potassium • Insuffisances rénales aiguës et chroniques [débit de filtration glomérulaire < 20 mL/mm] • Insuffisance minéralocorticoïde (aldostéronémie diminuée) : – maladie d’Addison = insuffisance surrénale aiguë et chronique – déficits enzymatiques = 21 OHase, 3 βOH stéroïde déshydrogénase… – hyporéninisme hypoaldostéronique (diabète sucré, néphrites interstitielles… shunt des chlorures) – hypoaldostéronisme induit : héparine, anti-inflammatoires non stéroïdiens, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, losartan, ciclosporine, kétoconazole, β-bloquants – hypoaldostéronisme (congénital) (avec hypertension artérielle) = syndrome de Gordon) • Anomalies tubulaires rénales : – acidoses tubulaires type IV : obstacles urinaires, lupus érythémateux disséminé, dysglobulinémies, amylose, greffe de rein, etc. – diurétiques distaux épargneurs de K (spironolactone, amiloride…) – Bactrim, pentamidine – Prématurité (immaturité tubulaire)

3. Bilan du potassium Le bilan du potassium est équilibré entre des apports alimentaires physiologiques (fruits frais et secs, légumes et viandes) accessoirement médicamenteux, qui varient de 80 à 100 mmol/24 h, soit environ 4 g/j (le potassium est un cation monovalent de poids atomique 39, donc 1 mmol de K+ = 39 mg de K+. Rappelons que 1 g de KC1 correspond à 13 mmol de potassium). L’absorption intestinale a lieu au niveau du grêle en fonction d’un mécanisme passif. La principale voie d’excrétion est le rein, permettant, après une période d’adaptation, une équilibration du bilan les pertes sudorales et fécales étant négligeables. L’aptitude du rein à maintenir l’équilibre dans une fourchette étroite est impressionnante, en particulier à la surcharge, sans entraîner de modification permanente significative de la kaliémie. 452

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4. Transport du potassium le long du néphron Une fois filtrée librement à travers le glomérule, une fraction majoritaire (60 %) du potassium est réabsorbée par le tube proximal, une fraction additionnelle (30 %) par l’anse de Henlé grâce au co-transport Na+K2 Cl–, au point qu’à peine 10 % de la charge filtrée atteint l’entrée du tube distal. Ce phénomène de réabsorption opère de façon continue, indépendante des fluctuations du métabolisme du potassium. La régulation a lieu en aval de l’anse de Henlé, au tube distal et collecteur. En cas d’apports minimes de potassium alimentaire, la réabsorption se poursuit pour ne laisser excréter qu’une quantité infime du potassium filtré. Quand les apports deviennent normaux ou excédentaires, un processus de sécrétion distale s’instaure et détermine le taux d’excrétion urinaire du K+.

Néphrologie - Urologie

Diagnostic 1. Signes cliniques L’hyperkaliémie est habituellement sans traduction clinique. Une notion est primordiale : seules les grandes hyperkaliémies aiguës deviennent symptomatiques. Elles engendrent alors des signes cardiaques et neuromusculaires, signifiant l’imminence de l’accident létal. Les manifestations cardiaques ne sont pas toujours parallèles au degré d’hyperkaliémie ; le risque étant l’arrêt circulatoire brutal, éventuellement sans la précession du moindre signe clinique (un taux O 9 mmol/L est réputé être la limite compatible avec la survie).

Les manifestations neuromusculaires, c’est-à-dire les paralysies hyperkaliémiques, sont rares. Elle sont précédées de fatigabilité musculaire, de paresthésies des extrémités et du visage. Les paralysies respectent les paires crâniennes. Une abolition de la réponse idio-musculaire peut être observée. Quand ces signes subjectifs sont ressentis par le malade, ce sont des indices de haute gravité en raison du retard de l’intoxication potassique sur les muscles striés (squelettiques) vis-à-vis des muscles lisses (myocarde).

2. Signes électrocardiographiques Les anomalies électrocardiographiques observées, conséquences des troubles de la repolarisation ventriculaire, comprennent dans l’ordre d’apparition une onde T ample, pointue, acuminée et symétrique à base étroite d’abord visible dans les dérivations droites V2-V3 et à la pointe, dès que la kaliémie dépasse 6 mmol/L. Leur absence pour un tel taux plasmatique est très suggestive de fausse hyperkaliémie. Viennent ensuite, pour des taux supérieurs à 7 mmol/L, les anomalies du complexe rapide, un allongement de l’espace QRS ainsi que de l’espace PR. Des troubles du rythme s’associent à ces anomalies de conduction : paralysie sinusale, dissociation auriculoventriculaire puis tachycardie supraventriculaire, fibrillation ventriculaire et enfin dissociation électromécanique. Toute cette sémiologie souligne l’importance de l’électrocardiogramme, immédiatement pratiqué devant toute suspicion d’hyperkaliémie. 2

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Signes électrocardiographiques des hyperkaliémies. amplitude des ondes T de V2 à V4, qui ont un caractère étroit et pointu. Un tel aspect des ondes T est suggestif d’hyperkaliémie. Extrait de « L’électrocardiogramme, savoir l’interpréter ». Gay J, Desnos M (avec l’autorisation de l’éditeur Frison-Roche).

La cardiotoxicité de l’hyperkaliémie peut être aggravée pour des taux plus modestes par d’autres anomalies électrolytiques, hypocalcémie et hypomagnésémie surtout, qui diminuent le seuil de potentiel de membrane, voire même en cas d’atteinte cardiaque préexistante.

Hyperkaliémie majeure. Absence d’activité auriculaire visible ; rythme ventriculaire un peu irrégulier entre 68 et 82 par minute, avec complexe QRS élargi à 0,16 s. Les ondes T ont une morphologie très particulière. Elles sont amples, pointues et étroites, diphasiques (+–) en I, positives en II, III et V6, succédant aux complexes QRS avec un espace QT très allongé à 0,54 s (pour un QT normal à 0,37 ± 0,04 s). La morphologie particulière des ondes T est très suggestive d’une hyperkaliémie ; il s’agit ici d’une hyperkaliémie importante, supérieure à 7 mEq/L qui peut expliquer la présence d’un rythme ventriculaire ectopique. Il n’est pas possible, en l’absence d’ondes P visibles sur ce tracé, de préciser s’il s’agit du rythme d’échappement ventriculaire secondaire à un bloc auriculoventriculaire, fréquente en cas d’hyperkaliémie aussi importante. Noter la très importante déformation des complexes QRS (flèches) et des ondes T en V2 qui rend l’interprétation du tracé difficile. Le rythme ventriculaire est peu rapide en V2 à 84/min. De telles modifications du tracé précèdent de peu l’arrêt ventriculaire en l’absence de traitement. Extrait de « L’électrocardiogramme, savoir l’interpréter ». Gay J, Desnos M (avec l’autorisation de l’éditeur Frison-Roche).

3. Diagnostic biologique L’hyperkaliémie est définie par une concentration plasmatique O 5,3 mmol/L (6 mmol/L chez le nourrisson). Encore faut-il, pour l’interpréter correctement, obéir à un certain LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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nombre de règles évitant de prendre en compte un taux erroné par excès alors que la kaliémie réelle est normale. Ces hyperkaliémies factices sont dues à une ponction veineuse difficile quand la pose prolongée d’un garrot génère une acidose locale. Ailleurs, le phénomène est la conséquence d’une hémolyse « in vitro » dans le tube de prélèvement où le potassium intra-érythrocytaire se libère au fur et à mesure dans le milieu. Enfin, de fausses hyperkaliémies sont associées à des thrombocytémies ou des hyperleucocytoses majeures. Les cellules malignes lysées au sein du caillot élèvent artificiellement le taux de la kaliémie sérique, alors qu’un prélèvement effectué sur anticoagulant reflète la kaliémie plasmatique circulante qui est normale. Détecter une hyperkaliémie impose d’apprécier le degré d’atteinte rénale car l’insuffisance rénale est la cause majeure d’hyperkaliémie et génère les accidents les plus graves. On ne peut se dispenser de connaître les désordres hydroélectrolytiques ni les désordres acido-basiques (pH, pCO2, CO2 total…) associés ou cause de l’hyperkaliémie. L’examen des urines par les bandelettes réactives, l’étude du sédiment et des électrolytes urinaires sont les prémisses indispensables de l’analyse de l’état rénal (DFG [débit de filtration glomérulaire] et GTTK [gradient transtubulaire de potassium]) (voir réf. : Ethier J.). Ces résultats vont indiquer si la réponse rénale est adaptée aux troubles métaboliques ou si, à l’inverse, une maladie rénale engendre l’hyperkaliémie.

Traitement Principes thérapeutiques La prise en charge de l’hyperkaliémie avérée comporte plusieurs types de mesures, non nécessairement exclusives, visant à diminuer la toxicité du K+ sur le myocarde, réintégrer l’excès de K+ extracellulaire dans le compartiment cellulaire, et s’il y a surplus de K+, l’éliminer de l’organisme.

1. Intérêt du calcium Le calcium diminue la toxicité du K+ sur le myocyte cardiaque. Quand l’hyperkaliémie est sévère (O 7 mmol/L), la situation est celle de l’urgence cardiologique. Il faut « antagoniser » l’effet électrolytique au niveau même de la cellule musculaire cardiaque. L’excitation du muscle cardiaque est, on le sait, immédiatement sensible aux variations des teneurs électrolytiques du milieu extracellulaire. Ainsi, bien que sans effet sur la kaliémie, l’injection intraveineuse de calcium, mieux sous forme de chlorures (20 mg/kg ou 20 mL à 10 %) en bolus intraveineux chez l’adulte que de gluconate, augmente le seuil de dépolarisation des cellules cardiaques. Son effet est immédiat sur les troubles de conduction dépendants de l’hyperkaliémie. Après les premières injections veineuses, les quantités ultérieures de calcium nécessaires à la régularisation permanente des tracés électrocardiographiques dépendent de l’action passagère de l’hypercalcémie induite. L’application de ce traitement requiert les conditions du monitorage élec454

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trocardiographique. L’opportunité de cette mesure ne souffre que l’exception de l’intoxication digitalique : le traitement par anticorps spécifique réactive l’inhibition des pompes Na/K ATPases et donc la recaptation cellulaire du potassium.

2. Favoriser le transfert intracellulaire du potassium Trois traitements sont disponibles pour induire en cas d’hyperkaliémie un effet de transfert (shift des Anglo-Américains) du K+ vers le compartiment intracellulaire. • Les médicaments agonistes β2-adrénergiques, agonistes des catécholamines, pourraient être utilisés avec succès par voie veineuse (épinéphrine 50 ng/kg/min) mais dans une situation d’urgence éventuelle leur application en aérosols constitue une solution élégante, toujours applicable et très efficace (salbutamol 5 µg/kg). Le salbutamol et les sympathomimétiques β2 apparentés (terbutaline, fénotérol) se fixent sur des récepteurs membranaires spécifiques. Ils stimulent la production d’AMPc intracellulaire, facteur d’activation de la pompe Na/K. Leur effet agoniste stimule les Na/K ATPases membranaires des cellules squelettiques ce qui permet le transfert du K+ vers l’intérieur des cellules. L’efficacité tient surtout au volume musculaire disponible qui permet une redistribution interne à l’organisme. Un abaissement rapide et important de la kaliémie est obtenu mais, là encore, temporairement. D’autres mesures s’avèrent nécessaires pour contenir le processus qui entretient l’hyperkaliémie et s’adressent donc aux causes de cette dernière. Soulignons que la sélectivité β2 est nécessaire à l’absence d’effets indésirables cardiaques tels qu’excès de tachycardie, etc. • L’alcalinisation plasmatique réalise le même effet de transfert cellulaire immédiat et peut être plus durable. L’alcalinisation par flacons intraveineux de solutés de bicarbonate de Na (à 14 ‰ ou 42 ‰ voire en bolus d’ampoules à 84 ‰) accentue de surcroît l’excrétion urinaire de K+. Mais il est vain d’escompter cet effet supplémentaire en cas d’atteinte rénale sévère. La perfusion de bicarbonate de sodium ne constitue plus le traitement physiopathologique indiscuté des hyperkaliémies bien que ces dernières soient étroitement imbriquées aux états d’acidose métabolique. Avec ce traitement, la baisse de la kaliémie obtenue est modeste, supplantée par d’autres mesures thérapeutiques. L’alcalinisation va à l’encontre du schéma théorique applicable à la majorité des cas d’acidoses métaboliques graves et aiguës rencontrées en clinique. Dans ces circonstances, les cellules sont en réalité dans un état d’acidose « respiratoire » par excès de production de CO2. Schématiquement, la production d’ions H+ endocellulaires consomme les CO3H ce qui aboutit à une génération de CO2, diffusible. La pCO2 cellulaire et veineuse devient donc élevée pour un territoire concerné. Cela amène à penser qu’en dehors de circonstances restreintes aux accidents de surcharge acide exogène brutale ou de pertes majeures en bicarbonates, l’alcalinisation fournit un substrat d’anions CO3H, potentiellement délétères pour les cellules. Une mesure de bon sens reste cependant d’alcaliniser les

Néphrologie - Urologie patients dont l’acidose métabolique est significativement trop décompensée (taux de CO2 total o 17 mmol/L). L’expansion volémique réalisée par le bicarbonate de sodium injectable expose à un autre danger, celui de surcharge sodée. Son application devient subrogée à la possibilité d’une charge en sodium, inenvisageable en cas d’anurie constituée, de décompensation cardiaque ou d’échappement d’hypertension artérielle, etc. Il n’y a pas de supériorité démontrée d’autres solutés alcalinisants tels que THAM, lactates, citrates… De plus, une alcalinisation trop brutale, abaissant le taux de calcium ionisé expose au danger de tétanie, de convulsions. Les apports alcalins voient actuellement leur utilisation acceptée dans les cas où existe un état de déplétion extracellulaire associée. Quand l’état de déshydratation extracellulaire commande la nécessité d’apports en sels de sodium, les perfusions de bicarbonate de sodium sont légitimes. La prescription chronique, elle, concerne des malades bien différents, et fait appel aux gélules de bicarbonate, de citrate, de phosphates per os, voire aux eaux minérales alcalines mais leur teneur élevée en fluor expose au danger de fluorose osseuse. • L’administration d’insuline, associée aux solutions glucosées pour mettre à l’abri de l’hypoglycémie (10 mL/kg de soluté glucosé à 30 % en perfusion sur 20 min + 0,5 unité d’insuline ordinaire/kg de poids corporel) entraîne l’entrée du K+ dans la cellule. L’effet est rapide et est réputé de surcroît additif par rapport aux β2-agonistes des catécholamines. Cette possibilité thérapeutique oblige à un certain volume de perfusions liquidiennes, mais voit son succès terni par le relargage secondaire du K+ transféré. L’insuline joue son rôle propre sur la pompe Na/K-ATPase. Par elle-même, l’hyperglycémie peut intervenir à la fois sur le transfert du K+ sur les dépôts de glycogène (ce dernier est un accepteur de K) et sur une libération d’insuline endogène en réponse à l’élévation de la glycémie. La question peut être posée sur l’intérêt du glucagon dans la tolérance aux accès d’hyperkaliémie aiguë.

3. Corriger l’excédent de la balance potassique Soustraire l’excédent potassique constitue un autre volet du traitement, d’autant que les mesures précédentes sont transitoires et ne négativent pas l’excès du bilan du K+. Pour rééquilibrer la balance positive du K+, la suppression des apports est fondamentale, primordiale dans les situations à risque, bien que souvent oubliée (sels de régime à base de sel de potassium, solution de Ringer, etc.). Cette méconnaissance est l’effet pervers d’une notion exacte et bien ancrée que tout excès d'apport en potassium est physiologiquement régulé par le rein. L’assertion que des apports indus ne peuvent générer une hyperkaliémie chez le sujet sain, n’est pas transposable à des malades qui ont une atteinte rénale fonctionnelle si ce n’est organique. Cet aspect souligne l’importance de la restriction diététique qui accompagne les maladies rénales. Les trois méthodes actuellement disponibles pour réduire l’excès de K+ sont d’ampleur différente : les résines, les diurétiques de l’anse et la dialyse.

• Les résines échangeuses de cations (polystyrène sulfonate de sodium = Kayexalate) et (polystyrol sulfonate calcique = Calcium Sorbistérit) complexent le K+ dans le tube digestif et bloquent son absorption intestinale. Cette thérapeutique administrée en poudre orale diluée (dosée par cuillère-mesure de 5 g ; 3 x 5 g/24 h chez l’adulte) ou exceptionnellement par voie rectale (lavement de 100 g) permet une diminution modérée de la kaliémie, par échange d’un ion potassique contre un ion non K+. L’effet sur la kaliémie survient au bout de 3 à 4 h. C’est davantage une thérapeutique préventive que curative, à prescrire chez des patients chroniquement exposés au risque d’hyperkaliémie (insuffisants rénaux chroniques et dialysés surtout…). • Éliminer l’accumulation de potassium en provoquant une abondante kaliurèse par action directe sur le rein constitue une autre mesure très efficace. Les diurétiques de l’anse augmentent l’excrétion rénale du potassium. Leur action puissante et rapide a l’avantage de persister jusqu’à un degré avancé d’insuffisance rénale. Ils constituent une thérapeutique majeure, malheureusement pas toujours applicable ni efficace. Leur principe est débattu lorsqu’il y a anurie par néphropathie aiguë. Des considérations théoriques complexes (sortant du cadre de cet exposé) suggèrent en pratique de surseoir à poursuivre les injections en cas d’échec avéré sur le débit urinaire. L’important est surtout de bien se rappeler que les diurétiques sont à l’évidence contre-indiqués en cas de déshydratation extracellulaire préalable et que leur prescription est incohérente en cas d’obstruction urinaire. Leur inconvénient est aussi de modifier la composition électrolytique des échantillons d’urine qui servent à diagnostiquer le type d’atteinte rénale (fonctionnelle, organique). Leur impact tubulaire est quadruple et il induit : une réduction de la réabsorption dans l’anse de Henle liée à l’inhibition du cotransport selon une stœchiométrie 2Cl–, 1 Na+ et 1 K+ ; une baisse de la réabsorption passive du K+ par effacement du gradient transépithélial ; une stimulation de la sécrétion distale du K+ grâce à l’augmentation du flux urinaire parvenant à ce niveau d’aval du tubule ; une intensification de l’ammniogenèse rénale. L’augmentation de la sécrétion urinaire de NH4+ et avec elle l’excrétion acide, tend à corriger l’acidose métabolique et indirectement l’hyperkaliémie. • L’échec des mesures précédentes conduit à la dialyse car l’hyperkaliémie continue d’être stimulée tant que sa cause persiste. Le contexte d'acidose, d’hypercatabolisme requiert dans la situation habituelle aux insuffisances rénales aiguës et chroniques le recours sans délai aux techniques d’épuration extrarénales : les techniques d’hémodialyse, d’ultrafiltration ou la dialyse péritonéale obtiennent les corrections voulues en utilisant des bains de dialyse qui sont alcalins et dont la teneur en K+ est modulable entre 3 et 1,5 mmol/L selon l’effet escompté. Pour terminer, rappelons la règle clinique que tout hyperkaliémie dont la cause n’apparaît pas rapidement évidente doit immanquablement suggérer l’idée d’insuffisance surrénale (mélanodermie, hypotension artérielle, hyponatrémie, natriurèse excessive et gradient transtubulaire de potassium abaissé). Elle répond au traitement spécifique et LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1998, 48

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codifié par 9 α-fluoro-hydrocortisone associé aux apports sodés (50 à 200 µg/24 h) ou d’emboles renouvelés d’hydrocortisone intraveineuse de 100 mg.

Indications thérapeutiques 1. Traitement curatif Le traitement curatif s’envisage selon le degré de l’hyperkaliémie. Au-dessus de 7 mmol/L, le pronostic vital est immédiatement en jeu. Le monitorage électrocardiographique est de rigueur. C’est habituellement le contexte d’une anurie. Le traitement d’urgence est entrepris avant même d’avoir prédéfini le traitement approprié de la cause : • les aérosols de salbutamol constituent la première mesure immédiatement applicable qui abaisse la kaliémie significativement. L’option injectable est disponible, elle est aussi réutilisable dans les limites de la tolérance à la tachycardie ; • le calcium intraveineux, dès que des anomalies électrocardiographiques sont constatées, telles qu’ondes T très acuminées ou élargissement de QRS, anomalie de PR voire devant le moindre trouble du rythme. Les injections sont éventuellement répétées à intervalles rapprochés ; • l’organisation d’une dialyse urgente est le relais essentiel, prévisible pour corriger l’acidose, la surcharge et traiter l’insuffisance rénale. Le transfert en service spécialisé va s’imposer de par la lourdeur des problèmes sous-jacents : causes multifactorielles, défaillances multiviscérales… L’alcalinisation intraveineuse n’est de mise que s’il y a hypovolémie et (ou) polyurie ; s’il y a surcharge, l’injection de fortes doses de furosémide peut être tentée, sans garantie de résultat tangible. La première injection est impérativement décalée par rapport au prélèvement d’urines (ionogramme urinaire). Lorsque l’hyperkaliémie est modérée, inférieure à 6,5 mmol/L, sans complication cardiaque ou électrocardiographique, il faut gérer une situation aiguë, non décompensée, ou plus souvent chronique. L’hyperkaliémie est soit le résultat attendu d’une investigation orientée soit une découverte de laboratoire. Le schéma amène dans l’ordre à : • envisager le réduction des apports alimentaires et non alimentaires qui tendent à positiver la balance potassique ; • arrêter les médicaments générateurs d’hyperkaliémie tels qu’anti-inflammatoires non stéroïdiens, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, diurétiques d’épargne potassique, etc. ; • compenser l’acidose plasmatique dans la mesure des possibilités en fonction des causes respiratoires ou rénales (bicarbonates, citrates per os) ; • prescrire une résine échangeuse d’ions (K+ échangé contre soit Na+, soit Ca++) ou un diurétique non épargneur de K+.

2. Traitement préventif Le véritable traitement de l’hyperkaliémie est préventif. Il se résume parfois à la simple suppression d’une cause iatrogénique, à compenser exactement la carence hormonale d’une insuffisance surrénale, à appliquer les mesures préventives de décompensation chez les insuffisants respiratoires, à ajuster les apports d’alcalins oraux en cas d’acidose métabolique chronique, ailleurs à prescrire un diurétique ciblé, à prévoir surtout la dialyse prophylactique 456

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dans toutes les formes d’insuffisance rénale. Cette prévention concerne les insuffisants rénaux oligo-anuriques aussi bien que les insuffisants rénaux chroniques traités par hémodialyse de suppléance chez qui les mesures diététiques sont associées à la prise régulière de chélateurs de potassium. Ces anticipations chez les sujets à risque constituent le vrai progrès du traitement de l’hyperkaliémie. ■

Points Forts à retenir • L’hyperkaliémie constitue la menace la plus grave et la plus sournoise de tous les troubles hydroélectrolytiques. • L’hyperkaliémie se constitue silencieusement au début, sans sémiologie clinique. Ultérieurement, quand les signes apparaissent, cardiaques ou musculaires, c’est l’imminence possible de l’accident létal. • L’hyperkaliémie déprime la contraction, l’automatisme, la conduction et l’excitabilité cardiaques corrélées à des troubles électrocardiographiques qu’il faut dépister bien avant l’arrêt circulatoire. • Un électrocardiogramme est immédiatement pratiqué devant toute suspicion d’hyperkaliémie que confirme ensuite le prélèvement plasmatique. • Penser à l’hyperkaliémie devant tout trouble du rythme ou de la conduction chez un malade insuffisant rénal. • L’hyperkaliémie n’est pas une maladie en soit : sa survenue dépend d’autres désordres. Ces derniers doivent suggérer cette complication et la faire découvrir. La véritable thérapeutique de l’hyperkaliémie est préventive : la prise en charge idéale nécessite le repérage des sujets à risque. • En cas d’accès d’hyperkaliémie sévère supérieure à 7 mmol/L, la thérapeutique est une urgence, fait appel dans les conditions de réanimation aux aérosols de salbutamol, aux injections intraveineuses de calcium et à l’épuration extrarénale.

POUR EN SAVOIR PLUS Ethier J, Magner PO, Kamel KS, West ML, Halperin ML. Évaluation clinique de la sécrétion rénale de potassium : une nouvelle méthode non invasive. Medecine Sciences 1988 ; 4 : 637-42. Fauchier JP, Cosnay P, Latour F. Cœur et hyperkaliémie. Arch Mal Cœur 1984 ; n° spécial avril : 23-33. Jaerger P, Descoeudres G. In : Le métabolisme électrolytique et minéral. Hyperkaliémie : diagnostic et traitement. Genève : Éditions Médecine et Hygiène, 1994 : 113-8. Kanfer A, Kourilsky O, Peraldi MN. Néphrologie et troubles hydroélectrolytiques. Paris : Masson, 1997. Legendre C, Choukroun G, Therbet E. Hyperkaliémie. In : Le potassium, Désordres hydroélectrlytiques. Paris : Arnette-Blackwell 1995 ; 6 : 132-40. Paillard M, Houllier P. Bilan de potassium et kaliémie. In : Physiologie rénale et désordres électrolytiques. Hermann, 1992 : 15365. Weissemburger J, Detienne JP. Sympathomimétiques a et b : principes et règles d’utilisation. Rev Prat (Paris) 1995 ; 45 : 753-62.