Néphrologie-urologie
Déshydratation et hyperhydratation cellulaires et extracellulaires
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Étiologie, physiopathologie, diagnostic, traitement Dr Anne BLANCHARD, Dr Pascal HOUILLIER, Pr Michell PAILLARD Service d’explorations fonctionnelles et radio-isotopes, CHU Broussais, 75674 Paris cedex 14 Unité INSERM U 356, université Pierre et Marie-Curie, Paris
Points Forts à comprendre
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• Les troubles de l’hydratation extra et (ou) intracellulaire sont toujours secondaires à la constitution d’un bilan sodé et (ou) hydrique déséquilibré. Ces troubles, rarement liés au dépassement des capacités physiologiques rénales d’adaptation aux variations des entrées d’eau et de sodium, reflètent le plus souvent une altération de la fonction d’excrétion du rein. Ce défaut d’adaptation peut être d’origine intrarénale (tubulopathie, diurétiques) ou extrarénale [déficits ou excès de sécrétion(s) hormonale(s)]. • Schématiquement, il est pratique de retenir les correspondances suivantes : – trop d’eau : hyperhydratation intracellulaire-hyponatrémie; – pas assez d’eau : déshydratation intracellulairehypernatrémie ; – pas assez de sodium : déshydratation extracellulairehypovolémie ; – trop de sodium : hyperhydratation extracellulaire-hypervolémie.
Hyperhydratation et déshydratation intracellulaires Conduite à tenir devant une hyponatrémie hypotonique (hyperhydratation intracellulaire) L’hyponatrémie hypotonique est définie par une concentration plasmatique de sodium inférieure à 135 mmol/L associée à une osmolalité plasmatique mesurée inférieure à 280 mOsm/kg d’eau. Elle reflète toujours une hyperhydratation intracellulaire. Cette hyponatrémie associée à une hypo-osmolalité plasmatique est expliquée par un contenu en eau relatif supérieur au contenu en sodium, ce dernier pouvant être normal, augmenté ou diminué. L’hyponatrémie hypotonique doit être différenciée : – des hyponatrémies isotoniques dans lesquelles l’osmolalité plasmatique est normale. Ces « fausses hyponatrémies » sont liées à la présence anormale de macromolécules dans le plasma (dans les hyperprotidémies et hyperlipidémies majeures essentiellement) qui diminuent le contenu en eau plasmatique. La natrémie est normale si elle est mesurée par litre d’eau plasmatique (par électrode spécifique, comme c’est le cas dans un nombre croissant de laboratoires). Ce diagnostic ne peut donc être évoqué que lorsque la natrémie est mesurée par litre de plasma (photométrie de flamme) ; – des hyponatrémies hypertoniques secondaires à la présence anormale d’un soluté osmotiquement actif autre que le sodium, et à l’origine d’une déshydratation intracellulaire (cf. chapitre correspondant).
1. Étiologie L’apparition d’une hyponatrémie nécessite la constitution d’un bilan d’eau positif (entrées transitoirement supérieures aux sorties). Les diverses causes d’hyponatrémies sont résumées dans le tableau I.
2. Physiopathologie • Création de l’hyponatrémie : en l’absence d’une insuffisance rénale avancée (DFG < 20 mL/min) et d’accès de potomanie, l’apparition d’une hyponatrémie signe généralement une incapacité à supprimer la sécrétion d’ADH malgré la LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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TABLEAU I Étiologie des hyponatrémies • Apports d’eau en excès, dépassant la capacité normale d’excrétion rénale – Troubles primaires de la soif : potomanie – Apports d’eau augmentée avec apports osmotiques faibles : tea and toast syndrome • Excrétion rénale insuffisante d’apports d’eau physiologiques A. Défaut majeur d’excrétion rénale d’eau : insuffisance rénale chronique avancée (DFG < 20 mL/min) B. Stimulus volémique de l’ADH : – déplétion sodée avec hypovolémie – syndromes œdémateux avec hypovolémie efficace (insuffisance cardiaque, cirrhose, certains syndromes néphrotiques) C. SIADH associé à une endocrinopathie : – hypothyroïdie – insuffisance glucocorticoïdes D. SIADH – Cancers : . bronchiques . digestifs (duodénum, pancréas, estomac) . urologiques (vessie, prostate, uretère) . autres (thymome, mésothéliome, lymphome, tumeur d’Ewing) – Affections neurologiques : . infectieuses (méningites, encéphalites, abcès) . vasculaires (accident vasculaire cérébral) . divers : traumatisme crânien, sclérose en plaques, neuropathies et polynévrites – Affections pulmonaires : . infectieuses (pneumopathies bactériennes ou virales, tuberculoses, abcès) . cancers . divers : ventilation mécanique, pneumothorax – Reset de l’osmostat E. Causes médicamenteuses : – hormones peptidiques : analogues de la vasopressine, ocytocine, somatostatine – diurétiques : thiazidiques – psychotropes : phénothiazines, antidépresseurs tricycliques, halopéridol, Fluoxétine – antinéoplasiques : vincristine, cyclophosphamide, ifosfamide – divers : tolbutamide, clofibrate, carbamazépine, morphiniques
diminution de l’osmolalité plasmatique. Cette sécrétion persistante d’ADH peut être secondaire à un stimulus volémique, s’intégrer dans une endocrinopathie (insuffisance glucocorticoïde, insuffisance thyroïdienne) ou définir un syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique (SIADH). • Conséquences de l’hyponatrémie : la diminution de l’osmolalité plasmatique entraîne un flux d’eau du volume extracellulaire vers les cellules, de manière à équilibrer les osmolalités intra- et extracellulaires. Du fait que les cellules cérébrales sont situées dans une boîte crânienne inextensible, le tableau clinique des hyponatrémies aiguës est dominé par des symptômes neurologiques d’hypertension intracrânienne : céphalées, troubles digestifs (nausées, vomissements), syndrome confusionnel, coma et crises convulsives, et, à l’extrême, décès du patient par engagement cérébral. Lorsque cette hyponatrémie se constitue lentement, elle est bien tolérée cliniquement. En effet, la diminution progressive de l’osmolalité plasmatique est équilibrée par une diminution parallèle du contenu intracellulaire en divers composés : ions (principalement potassium et anions) et solutés organiques appelés osmolytes (inositol, glutamine, taurine). Cette adaptation permet aux cellules de maintenir un volume proche de la normale. La correction des hyponatrémies chroniques doit être lente pour permettre l’adaptation 766
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Répartition de l’eau de l’organisme • L’eau représente entre 55 et 60 % du poids du corps chez l’homme 45 et 60 % chez la femme. • Le secteur intracellulaire représente 2/3 de l’eau totale (40 % du poids du corps). • Le secteur extracellulaire représente 1/3 de l’eau totale (20 % du poids du corps) et se subdivise en secteur plasmatique (5 % du poids du corps) et liquide interstitiel (15 % du poids du corps). Les échanges d’eau entre secteur intracellulaire et secteur extracellulaire dépendent essentiellement de la différence d’osmolalité qui peut s’établir de part et d’autre de la membrane cellulaire, et donc des variations de la concentration extracellulaire des osmoles « efficaces » constituées à plus de 95 % par l’ion sodium et les anions qui l’accompagnent: osmolalité extracellulaire efficace = [Na+]p x 2 Les flux nets d’eau et d’électrolytes qui s’établissent à travers la paroi du capillaire entre le secteur plasmatique et le secteur interstitiel, sont déterminés par 2 forces opposées : la différence de pression hydrostatique « décroît » le long du capillaire, et induit un flux liquidien du capillaire vers l’interstitium qui dilue progressivement les protides plasmatiques ; la différence de pression oncotique induit un flux de sens opposé. Elle s’accentue le long du capillaire avec la diminution de la concentration protidique intracapillaire. Le flux net dirigé vers l’interstitium au début du capillaire, s’inverse au-delà du pojnt d’équilibre de filtration. NB : La concentration d’albumine, élément important des échanges entre secteur plasmatique et interstitiel, constitue une part négligeable des osmoles extracellulaires (moins de 1 mOsm/kg d’eau pour 40 g/L). Elle n’intervient donc pas dans les échanges entre secteurs intra- et extracellulaires.
inverse. Une correction trop rapide de la natrémie expose à un risque de déshydratation intracellulaire aiguë, et sa complication neurologique classique : la myélinolyse centropontine associée cliniquement au syndrome de verrouillage (ou locked-in syndrome : tétraplégie, diplégie faciale, perte de la latéralité du regard, conscience normale). Le décès du patient est également possible.
3. Diagnostic positif • Diagnostic clinique et biologique : en dehors des signes neurologiques non spécifiques décrits précédemment, l’hyperhydratation intracellaire se traduit classiquement par une prise de poids, l’existence de muqueuses humides, d’une langue turgescente gardant l’empreinte dentaire. Le diagnostic d’une hyperhydratation intracellulaire repose sur la découverte d’une hyponatrémie sur un ionogramme qui motive la mesure d’osmolalité plasmatique qui est diminuée. • Le diagnostic étiologique d’une hyponatrémie hypotonique comporte plusieurs étapes successives et s’appuie sur l’évaluation de l’état d’hydratation extracellulaire, de la fonction rénale, et la mesure de l’osmolalité urinaire (et éventuellement de la concentration plasmatique d’ADH) contemporaine(s) de l’hyponatrémie : – reconnaître les hyponatrémies secondaires à des apports dépassant la capacité rénale d’excrétion d’eau : . du fait d’une insuffisance rénale avancée (DFG < 20 mL/min) ; . du fait d’une augmentation primitive des apports d’eau (potomanie primaire) : l’hyponatrémie s’accompagne d’une osmolalité urinaire appropriée, inférieure à 100 mOsm/kg d’eau (150 chez le sujet âgé). La diurèse est élevée. La potomanie vraie (essentiellement rencontrée chez les schizophrènes) conduit à des apports d’eau massifs, compulsifs, pouvant dépasser 15 L/24 h voire plusieurs litres sur un bref intervalle de temps dans quelques formes psychotiques graves. Elle expose à des accidents hyponatrémiques aigus pouvant entraîner la mort ; . le plus souvent, l’apparition d’une hyponatrémie est favorisée par la conjonction de plusieurs facteurs : une soif conservée ou augmentée (parfois d’origine organique), une altération modérée de la capacité rénale de dilution et des apports osmotiques faibles qui limitent la diurèse maximale possible : par exemple, si l’osmolalité urinaire minimale atteinte est égale à 80 mOsm/kg d’eau, la diurèse maximale sera de 10 L/24 h ; si les apports osmotiques sont de 800 mOsm/24 h, de 5 L/24 h si les apports osmotiques sont de 400 mOsm/24 h, de 2,5 L/24 h si les apports osmotiques sont de 200 mOsm/24 h. L’hyponatrémie du tea and toast syndrome est observée chez les personnes âgées et (ou) anorexiques qui ont un régime très hypoprotidique et se nourrissent de tartines et de boissons chaudes (tisanes ou thé). L’apport hydrique modérément élevé (3 à 4 L/j) ne peut pas être excrété du fait des faibles apports osmotiques par cette alimentation pauvre en sel et en protides ; – reconnaître les hyponatrémies avec osmolalité urinaire inappropriée à l’hypoosmolalité plasmatique (supérieure à 150 mOsm/kg d’eau), en rapport avec un stimulus volémique de l’ADH : . du fait d’une hypovolémie efficace : l’examen clinique doit rechercher un syndrome œdémateux et l’existence d’épanchements séreux pouvant orienter vers une insuffisance cardiaque congestive, un syndrome néphrotique ou une décompensation cirrhotique. Dans ces syndromes, la pathogénie de l’hyponatrémie est complexe, intriquant à des degrés divers une sécrétion d’ADH stimulée par l’hypovolémie efficace, et un maintien ou une stimulation de la soif ; . du fait d’une hypovolémie vraie : il est parfois difficile de diagnostiquer, reconnaître cliniquement une déshydratation extracellulaire à l’origine d’un stimulus volémique de l’ADH. La réalisation d’une charge sodée permet de retenir ce diagnostic lorsque la correction de la volémie entraîne la correction de la natrémie. À l’inverse, lorsqu’une natriurèse supérieure à 80 mmol/24 h est obtenue, et que l’osmolalité urinaire demeure inappropriée (> 100 mOsm/kg d’eau) à l’hyponatrémie qui persiste, le diagnostic d’hyponatrémie par stimulus volémique de l’ADH peut être écarté ; LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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Régulation du bilan de l’eau Le bilan de l’eau est maintenu équilibré grâce à une double régulation portant sur les entrées (modification de la soif) et l’excrétion rénale d’eau sous le contrôle de l’hormone antidiurétique (ADH). La valeur régulée est l’osmolalité plasmatique dont les variations déterminent les flux d’eau entre secteurs intra- et extracellulaires et donc le volume cellulaire. En situation physiologique, le stimulus essentiel de la sécrétion d’ADH et de la soif est l’osmolalité plasmatique : très faible lorsque l’osmolalité plasmatique est < 280 mOsm/kg d’eau, la sécrétion d’ADH s’élève, au-delà de ce seuil, proportionnellement à l’élévation de l’osmolalité plasmatique. En l’absence d’ADH, l’osmolalité du fluide tubulaire, très basse à la fin du segment de dilution (qui comprend la branche large de Henle et le tube contourné distal), est maintenue jusqu’à l’urine définitive. La fixation de l’ADH à son récepteur V2 induit l’insertion d’une aquaporine dans la membrane cellulaire apicale du tube collecteur rénal. Cette protéine confère à l’épithélium une perméabilité à l’eau importante. Une équilibration osmotique avec l’interstititum hypertonique conduit à la concentration progressive des urines dont témoigne l’élévation de l’osmolalité urinaire. Un sujet qui a un apport hydrique de 2 L/24 h et un apport osmotique de 800 mOsm/24 h a une osmolalité urinaire moyenne de 400 mOsm/kg. Lorsqu’une charge aqueuse prolongée (10 L/24 h) est administrée, le rein élimine transitoirement une quantité d’eau inférieure aux entrées, l’osmolalité plasmatique diminue, le volume intracellulaire tend à augmenter. La diminution de l’osmolalité plasmatique inhibe la sécrétion d’ADH. L’osmolalité urinaire atteint progressivement une valeur minimale (80 mOsm/kg d’eau) qui définit le pouvoir de dilution, tandis que la diurèse devient égale aux apports d’eau. Si une restriction hydrique prolongée est ensuite instituée, le rein élimine transitoirement une quantité d’eau supérieure aux entrées, l’osmolalité plasmatique s’élève et le volume intracellulaire tend à diminuer. L’élévation de l’osmolalité plasmatique stimule la sécrétion d’ADH. L’osmolalité urinaire augmente progressivement pour atteindre, lorsque la natrémie est O 145 mmol/L, une valeur maximale (entre 850 et 1 200 mOsm/kg d’eau) qui définit le pouvoir de concentration. La diurèse est alors inférieure à 0,75 L/24 h. L’osmolalité urinaire maximale (la diurèse minimale) est normalement atteinte lorsque l’osmolalité plasmatique devient supérieure ou égale à 300 mOsm/kg d’eau, valeur qui correspond au seuil physiologique de la soif intense. Ainsi, la régulation des entrées d’eau dans l’organisme par la stimulation du centre hypothalamique de la soif prend le relais de l’adaptation rénale d’excrétion d’eau en cas de déshydratation intracellulaire importante. .../...
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– reconnaître les causes endocriniennes d’hyponatrémie : insuffisance surrénale (par un test à l’ACTH), hypothyroïdie (par un dosage de TSH) ; – avant d’aboutir au diagnostic d’exclusion qu’est le syndrome de sécrétion inapproprié d’ADH (SIADH) dont les étiologies sont résumées dans le tableau I. Dans ce cadre, il est classique de distinguer un tableau clinique très particulier nommé « reset de l’osmostat ». Ce dernier se définit par l’apparition d’une hyponatrémie stable, modérée, associée à une sécrétion d’ADH inappropriée. Cette sécrétion d’ADH est freinable lorsqu’une hyponatrémie plus profonde est induite par une charge aqueuse et stimulable par la restriction hydrique. Cette pathologie est donc caractérisée par un décalage de la relation reliant la natrémie à la sécrétion d’ADH vers des natrémies plus basses. Les patients atteints de ce syndrome doivent être identifiés car l’hyponatrémie qu’ils présentent ne peut pas (la natrémie retournant inéluctablement à sa valeur d’équilibre) et ne doit pas être traitée.
4. Traitement Le degré d’hyponatrémie est corrélé à la fois à l’importance des apports d’eau et au degré d’altération de la capacité rénale à excréter cette eau, l’apparition d’une hyponatrémie signant obligatoirement un bilan d’eau positif relativement au bilan de sodium. Les bases thérapeutiques de l’hyponatrémie sont la restriction hydrique seule, l’administration de chlorure de sodium dans le but de corriger une hypovolémie vraie responsable d’un stimulus volémique de la sécrétion d’ADH, ou encore une restriction hydrosodée. Le choix de la thérapeutique dépend essentiellement de la pathologie d’origine : • une restriction hydrique associée à une restriction sodée est indiquée chez les patients présentant un syndrome œdémateux. On y adjoindra si possible le traitement de sa cause : insuffisance cardiaque congestive, syndrome néphrotique ; • l’administration de chlorure de sodium par voie orale ou par perfusion isotonique permet de corriger les hyponatrémies secondaires aux hypovolémies vraies, quelle qu’en soit l’origine ; • une restriction hydrique isolée est indiquée chez les patients potomanes ou atteints de SIADH. Dans ce cas, du fait du phénomène d’échappement rénal, un apport hydrique modéré et fixe est toléré ; • les hyponatrémies apparaissant au cours des insuffisances thyroïdiennes ou glucocorticoïdes se corrigent avec l’instauration d’une opothérapie substitutive. Les hyponatrémies chroniques doivent être corrigées lentement. Si l’existence de symptômes témoigne du caractère aigu d’une hyponatrémie, il convient de corriger relativement rapidement la natrémie jusqu’à ce que le patient soit asymptomatique puis plus lentement : l’élévation de la natrémie conseillée est de 1,5 à 2 mmol/h sans dépasser 2,5 mmol/h, 15-20 mmol/24 h. L’administration de chlorure de sodium en solution hypertonique (513 mmol/L) associée aux diurétiques de l’anse est alors généralement utilisée, ajustée de sorte à maintenir un bilan sodé nul et un bilan hydrique négatif. Les hyponatrémies aiguës avec augmentation du volume extracellulaire peuvent bénéficier d’une épuration extrarénale, en raison du risque de surcharge extracellulaire induit par la solution hypertonique de chlorure de sodium.
Conduite à tenir devant une déshydratation intracellulaire Les déshydratations intracellulaires sont toujours secondaires à une élévation de l’osmolalité efficace plasmatique. Elles s’accompagnent généralement d’une hypernatrémie, définie par une concentration plasmatique de sodium supérieure à 145 mmol/L. La natrémie peut cependant diminuer lorsque l’hyperosmolalité plasmatique est secondaire à la présence anormale en concentration élevée d’un soluté autre que le sodium, de bas poids moléculaire et osmotiquement actif. Ce soluté est responsable d’un « trou osmotique », défini par la différence entre l’osmolalité mesurée et calculée. Ce soluté peut être d’origine endogène (glucose
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.../... En physiopathologie, les stimulus non osmotiques, essentiellement la baisse de volémie artérielle, prennent une importance primordiale : en cas de diminution de plus de 10 % de la volémie efficace, la neurosécrétion hypothalamique d’ADH est stimulée par des afférences provenant des barorécepteurs carotidiens et volorécepteurs atriaux. Elle induit une sécrétion d’ADH inappropriée à l’hyponatrémie qu’elle entraîne.
au cours de la décompensation diabétique) ou exogène (mannitol, glycocolle, éthylène glycol). Ces états hyperosmolaires avec hypertonicité plasmatique doivent être distingués des états hyperosmolaires sans hypertonicité plasmatique liés à la présence plasmatique en concentration élevée d’un soluté de bas poids moléculaire mais osmotiquement inactif car librement diffusible dans les cellules : principalement l’urée ou l’éthanol. Dans ces états hyperosmolaires, le « trou osmotique » est augmenté mais la tonicité plasmatique, et donc le volume intracellulaire, sont normaux.
1. Causes • Déshydratations intracellulaires avec hypernatrémie : elles sont le plus souvent liées à l’existence de pertes rénales d’eau non compensées, plus rarement, à l’administration ou l’ingestion accidentelle d’une solution hypertonique de chlorure de sodium. Les pertes d’eau pouvant favoriser l’apparition d’une hypernatrémie sont multiples et peuvent être divisées en 3 catégories : l’augmentation des pertes insensibles par la respiration et la sueur (favorisées par l’hyperventilation et l’hyperthermie), les pertes rénales (diabètes insipides centraux ou néphrogéniques, diurèses osmotiques) et gastro-intestinales. • Hyponatrémies hypertoniques : le soluté responsable du trou osmotique peut être d’origine endogène : la situation clinique la plus fréquente d’hyponatrémie hypertonique est la décompensation diabétique. Plus rarement, le soluté est d’origine exogène au décours des intoxications par mannitol, glycocolle, éthylène glycol.
2. Physiopathologie • Création de l’hyperosmolalité extracellulaire : l’apparition d’une hypernatrémie est généralement due à la constitution d’un bilan d’eau négatif (entrées transitoirement inférieures aux sorties). Physiologiquement, toute augmentation de l’excrétion rénale d’eau (ou apparition de pertes extrarénales) entraîne une stimulation de la soif qui suffit, par l’adaptation des entrées d’eau, à maintenir la natrémie dans les limites de la normale. Ainsi, la plupart des patients atteints de diabète insipide neuro- ou néphrogénique adaptent leur prise de boisson à leur diurèse et régulent leur natrémie. L’apparition d’une hypernatrémie signe donc soit un défaut d’accès à l’eau (vieillards, enfants, ou patients ne pouvant ni boire d’eux-mêmes, ni exprimer leur soif), soit plus rarement un défaut primitif de la sensation de soif associé. Ce défaut de la soif doit faire rechercher, par tomodensitométrie ou imagerie par résonance magnétique (IRM), une lésion hypothalamique du centre de la soif (tumeur, anomalies vasculaires essentiellement). Au cours de la décompensation diabétique, l’élévation de la concentration extracellulaire de glucose non diffusible entraîne un flux d’eau de la cellule vers le liquide extracellulaire et donc une déshydratation intracellulaire associée à une hyponatrémie. Secondairement, l’élévation de la concentration plasmatique de glucose est tellement importante que la charge filtrée de glucose dépasse la capacité de réabsorption rénale. Ce glucose non réabsorbé entraîne avec lui de l’eau par un mécanisme de diurèse osmotique. Cette perte d’eau entraîne l’élévation progressive de la natrémie, jusqu’à l’apparition d’une hypernatrémie. • Conséquences de l’hyperosmolalité extracellulaire : l’élévation de l’osmolalité plasmatique entraîne un flux d’eau des cellules vers le liquide extracellulaire. L’hypernatrémie aiguë induit des symptômes neurologiques de gravité variable (léthargie, perte de connaissance, coma) pouvant aller jusqu’au décès du patient. Lorsqu’elle se constitue lentement, l’élévation de l’osmolalité plasmatique est équilibrée par une augmentation du contenu en osmolytes intracelluaires qui permet de réguler le volume cellulaire au cours des hypernatrémies chroniques. Cette adaptation expose à un risque d’hyperhydratation intracellulaire aiguë (potentiellement mortelle) en cas de correction trop rapide de l’hypernatrémie. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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3. Diagnostic Le diagnostic étiologique d’une hypernatrémie commence par un interrogatoire soigneux du patient et de l’entourage à la recherche notamment d’antécédents évocateurs (diabète sucré) de la prise ou de l’administration récente de solution hypertonique ou de médicaments apportant une grande quantité d’osmoles (par exemple, apports sodés massifs au cours de certaines antibiothérapies), d’un contexte infectieux, d’épisodes diarrhéiques et de vomissements. La diurèse doit être grossièrement quantifiée, ainsi que la sensation de soif, la capacité à l’exprimer et à la satisfaire. Une diabète sucré décompensé doit systématiquement être recherché par la mesure de la glycémie et d’une glycosurie à la bandelette, puis par dosage de laboratoire. La mesure de l’osmolalité urinaire contemporaine de l’osmolalité plasmatique supérieure à 300 mOsm/kg permet de juger du caractère adapté ou non de la réponse rénale à l’hypernatrémie : l’hypernatrémie doit normalement entraîner une hypersécrétion d’ADH et l’élévation de l’osmolalité urinaire. Schématiquement, une osmolalité urinaire supérieure ou égale à 850 mOsm/kg témoigne d’une réponse rénale normale à une sécrétion d’ADH appropriée. À l’inverse, lorsque l’osmolalité urinaire contemporaine d’une hypernatrémie est inférieure à 300 mOsm/kg, il existe une anomalie majeure soit de la sécrétion, soit de la réponse rénale à l’action de l’ADH. Grâce à divers éléments on pourra : • reconnaître les états hyperosmolaires avec hypertonicité plasmatique, secondaires à des pertes d’eau pure ou très pauvre en sodium : – par apport d’eau insuffisant pour compenser les pertes extrarénales normales (osmolalité urinaire appropriée) : . sujets ayant des troubles de conscience ou ne pouvant exprimer leur soif (sujets déments, nourrissons), . trouble primaire de la soif : l’absence de sensation de soif contemporaine d’une osmolalité plasmatique supérieure à 300 mOsm/kg chez un individu pouvant l’exprimer doit faire rechercher une lésion hypothalamique du centre de la soif. Les troubles primitifs de la soif sont fréquemment associés à un diabète insipide neurogénique partiel ; – au cours de la polyurie des diabètes insipides : l’osmolalité urinaire contemporaine de l’hypernatrémie est inappropriée. L’administration par voie sous-cutanée ou nasale de dDAVP (agoniste des récepteurs V2 de l’ADH) permet de distinguer entre : . un diabète insipide d’origine neurogénique (défaut de sécrétion hypothalamique d’ADH) lorsque l’osmolalité s’élève de plus de 50 % dans les 2 h qui suivent l’administration de dDAVP ; . un diabète insipide d’origine néphrogénique (absence de réponse rénale à l’action de cette hormone) lorsque l’osmolalité urinaire varie de moins de 30 % en cas d’origine néphrogénique ; • reconnaître les états hyperosmolaires avec hypertonicité plasmatique secondaires à des pertes d’eau pure avec perte relativement plus faible de sodium : – au cours des polyuries osmotiques, des substances de faible poids moléculaire librement filtrées et peu réabsorbées entraînent la disparition du gradient cortico-papillaire intrarénale. L’osmolalité urinaire est proche de celle du plasma mais la concentration en électrolyte est beaucoup plus faible. La perte d’eau et de sodium ainsi engendrée entraîne une déshydratation globale. Le soluté responsable peut être le glucose (la glycosurie élevée du diabète déséquilibré est la première étiologie de polyurie osmotique), l’urée (polyurie osmotique de la réduction néphronique avancée), le mannitol… ; – au cours des pertes extrarénales (osmolalité urinaire appropriée) : . pertes par vomissements, aspiration gastrique, diarrhée non compensées ; . pertes extrarénales autres, augmentées par l’hyperventilation et l’hyperthermie ; • reconnaître les états hyperosmolaires avec hypertonicité plasmatique, secondaires à une surcharge en solutés non diffusibles (osmolalité urinaire appropriée) : 770
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Hyperhydratation et deshydratation extracellulaires Aspects physiopathologiques • Syndromes œdémateux : la formation d’œdèmes généralisés nécessite une altération d’une ou de plusieurs forces de l’équilibre de Starling qui régit les échanges périphériques entre secteurs plasmatique et interstitiel, l’équilibre étant déplacé en faveur d’une augmentation nette de la filtration. Les œdèmes sont le plus souvent dus à une augmentation de la pression hydrostatique capillaire (secondaires à une élévation de la pression veineuse essentiellement, ou à une vasodilatation artériolaire), plus rarement à une diminution de pression oncotique plasmatique (insuffisance hépatique, syndrome néphrotique, entéropathies exsudatives) ou une élévation de la pression oncotique interstitielle (hypothyroïdie). La constitution d’œdèmes suppose également une rétention majeure et prolongée de sodium par le rein, soit parce que le rein est anormal et ne répond plus à l’expansion (œdèmes primitifs) soit parce que l’expansion s’associe à une hypovolémie efficace. Les mécanismes compensateurs de cette hypovolémie efficace sont à l’origine et soutiennent la rétention sodée par un rein par ailleurs normal (œdèmes secondaires). • Œdèmes primitifs : – la glomérulonéphrite est l’exemple type des œdèmes primitifs : dans les syndromes néphritiques, la rétention rénale primitive provoque un bilan positif de sodium et d’eau (la natriurèse très faible est inférieure aux apports habituels, oligurie) secondairement responsable d’une expansion extracellulaire vasculaire (responsable d’une élévation du débit cardiaque et d’une HTA) et interstitielle. La rénine et l’aldostérone plasmatiques, l’activité sympathique sont diminuées. Le mécanisme de la rétention sodée est mal connu. Dans la majorité des cas, il n’existe pas de syndrome néphrotique, l’albuminémie étant supérieure à 30 g/L, la protéinurie inférieure à 3 g/24 h ; – la déplétion sélective en potassium provoque une augmentation de la réabsorption tubulaire proximale de sodium responsable d’une expansion du volume extracellulaire. Des syndromes œdémateux ont été décrits au cours de déplétions potassiques sévères (supérieures à 500 mmol). • Œdèmes secondaires : l’anomalie primitive est une diminution de la volémie efficace qui peut être définie par la volémie effectivement présente dans le lit artériel. La stimulation des mécanismes régulateurs (dont témoigne l’élévation de la rénine et de l’aldostérone plasmatique) met en jeu les barorécepteurs à haute pression et entraîne un bilan cumulatif de sodium responsable de l’expansion, mais incapable de restaurer la volémie artérielle. Selon l’origine, la diminution de la volémie artérielle est associée ou non à une diminution du volume vasculaire ; .../...
. la surcharge aiguë accidentelle en sodium : le plus fréquemment par apport excessif de bicarbonate molaire au cours d’un arrêt cardiorespiratoire ou d’une hyperkaliémie, entraîne un état d’hyperhydratation globale, . hyperglycémie aiguë, principalement à la phase aiguë initiale de la décompensation diabétique, avant apparition de la diurèse osmotique.
4. Traitement • Hypertonicité plasmatique secondaire à des pertes d’eau pures ± pertes de sodium : comme pour l’hyponatrémie, la correction de l’hypernatrémie, lorsqu’elle est chronique et bien tolérée, doit être effectuée lentement, par administration d’eau. Une hypernatrémie aiguë et symptomatique est corrigée plus rapidement par l’administration orale d’une plus grande quantité d’eau ou en ajoutant une perfusion intraveineuse de solution glucosée hypotonique à 2,5 %. Il est conseillé, en dehors de situations exceptionnelles, de ne pas diminuer la natrémie de plus de 1 mmol/h et 15 mmol/j. La voie orale est toujours privilégiée. Un apport de sodium et de potassium est effectué en fonction du degré de déshydratation extracellulaire qui est pratiquement constamment associé, et de la déplétion potassique. Le déficit hydrique peut être estimé grossièrement à partir du poids corporel du sujet à l’état stable (PDC) et de la natrémie mesurée ([Na]p), par la formule suivante : déficit hydrique = 0,60 x PDC x (([Na]p/140)-l) • Le traitement de la décompensation diabétique associe la réhydratation extraet intracellulaire à l’administration d’insuline et de glucose. • La correction des hypernatrémies aiguës, en particulier celles secondaires à l’administration accidentelle de sodium ou s’accompagnant d’une insuffisance rénale, peut être assurée par hémodialyse.
Hyperhydratation et déshydratation extracellulaires Conduite à tenir devant une hyperhydratation extracellulaire Le volume extracellulaire est déterminé par le contenu (et non la concentration) en sodium extracellulaire. L’hyperhydratation extracellulaire est toujours secondaire à un bilan sodé positif (entrées supérieures aux sorties) qui s’accompagne d’une rétention rapide d’eau du fait de la régulation de la natrémie (l’osmolalité plasmatique) maintenue constante par l’ADH (cf. encadré régulation du bilan de sodium, page 773).
1. Causes Les états d’hyperhydratation extracellulaire sont répertoriées dans le tableau II. Ils peuvent être subdivisés, si on écarte la situation particulière de l’insuffisance rénale avancée, en 2 catégories : – les hyperminéralocorticismes primitifs dont l’hyperaldostéronisme primaire est la principale cause, s’expriment cliniquement par une hypertension artérielle. L’hyperhydratation extracellulaire est trop limitée pour entraîner un syndrome œdémateux du fait du phénomène d’échappement du rein à l’hypersécrétion d’aldostérone ; – les causes de rétentions hydrosodées majeures qui entraînent l’apparition d’œdèmes généralisés.
2. Physiopathologie (cf. encadré) Hyperminéralocorticismes primitifs et tableaux assimilés : l’excès de minéralocorticoïdes circulants, par leur action sur le tube collecteur cortical, induisent une rétention rénale de sodium. Dans 90 % des cas, le stéroïde responsable est LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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.../... – dans l’insuffisance cardiaque chronique congestive, la diminution de la volémie artérielle est secondaire à la diminution du volume d’éjection systolique et du débit cardiaque ; – dans les insuffisances cardiaques à débit élevé (anémie, fistules artérioveineuses, béribéri) la diminution de la volémie artérielle est secondaire à la diminution des résistances artérielles périphériques, et contraste avec l’élévation du débit cardiaque et du volume sanguin total, caractéristique de ces pathologies ; – l’hypovolémie artérielle au cours de la cirrhose hépatique répond de plusieurs mécanismes : au stade précoce de la cirrhose expérimentale, l’hyperpression intrahépatique, par l’intermédiaire de barorécepteurs intrahépatiques, semble responsable de la rétention rénale de sodium (réflexe hépatorénal). La diminution des résistances périphériques induite par la vasodilatation splanchnique et apparition d’angiomes stellaires cutanés et viscéraux et diverses fistules artérioveineuses, explique l’hypovolémie artérielle et le débit cardiaque élevé contemporains. Ce syndrome hyperkinétique participe à la création et à l’entretien de la rétention hydrosodée. La rétention hydrosodée se distribue de façon préférentielle dans le péritoine à partir des capillaires sinusoïdaux et à travers la capsule hépatique. Rapidement, l’augmentation du retour lymphatique vers la circulation systémique est dépassée et une ascite apparaît. Lorsque la rétention hydrosodée est majeure, un syndrome œdémateux généralisé s’installe ; – au cours des syndromes néphrotiques, définis par l’association d’une protéinurie supérieure à 3 g/24 h, d’une hypoalbuminémie (30 < g/L) et d’un syndrome œdémateux. La rétention hydrosodée est induite par une augmentation primitive de la réabsorption tubulaire de NaCl (tubule collecteur) et par les mécanismes régulateurs de l’hypovolémie efficace secondaire à la diminution de la pression oncotique. Une diminution isolée de la pression oncotique ne semble cependant pas pouvoir entraîner à elle seule une hypovolémie efficace tant que l’albuminémie demeure supérieure à 20 g/L. En effet, l’hypoalbuminémie plasmatique s’accompagne d’une diminution proportionnelle de la concentration interstitielle d’albumine ce qui maintient la différence de pression oncotique constante. En réalité, la pathogénie semble un continuum entre des tableaux proches de la glomérulonéphrite aiguë associant un volume plasmatique élevé, une activité rénine et une aldostéronémie basses, et des tableaux avec hypovolémie vraie prédominante, associés à une activité rénine et sympathique et à une aldostéronémie élevées. La diminution de la pression oncotique, éventuellement d’autres mécanismes non élucidés (anomalies de la perméabilité capillaire) seraient à l’origine d’une hypovolémie et de sa persistance malgré la rétention hydrosodée.
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TABLEAU II Causes des hyperhydratations extracellulaires • Expansion du secteur extracellulaire sans œdèmes Régulation du bilan du sodium A. Syndromes d’hyperminéralocorticorticismes primitifs ou apparentés : – syndrome de Conn – hyperplasie bilatérale des surrénales (hyperplasies nodulaires, déficits en 11β-hydroxylase, 17 α-hydroxylase) – intoxication par la glycyrrhizine (réglisse, Antésite) – pseudohyperaldostéronisme (syndrome de Liddle) – excès de glucocorticoïdes B. Insuffisance rénale avancée • États œdémateux généralisés Régulation du bilan du sodium A. Augmentation de la pression hydrostatique capillaire : – cirrhose hépatique – insuffisance cardiaque congestive – néphropathies glomérulaires – toxémie gravidique B. Augmentation de la perméabilité capillaire : – choc anaphylactique, septique, œdème angio-neurotique familial – médicaments vasodilatateurs (minoxidil, inhibiteurs calciques) C. Augmentation de la différence de pression oncotique: – diminution de la pression oncotique plasmatique (albuminémie < 15-20 g/L) . syndrome néphrotique sévère . insuffisance hépatique . gastro-entéropathies exsudatives – augmentation de la pression oncotique interstitielle : hypothyroïdie D. Mécanisme indéterminé : œdèmes cycliques idiopathiques
l’aldostérone. Dans l’intoxication par la réglisse, la rénine et l’aldostérone sont diminuées. La réglisse inhibe la 11β-hydroxystéroïde-déshydrogénase qui catalyse le cortisol en cortisone dans le rein. L’inhibition de cette enzyme démasque l’action minéralocorticoïde du cortisol qui est physiologiquement absente.
3. Diagnostic • Diagnostic clinique et paraclinique : il cherche à déterminer l’extension et les conséquences de la rétention hydrosodée : – la pression artérielle est plutôt basse dans l’insuffisance cardiaque et la cirrhose, et élevée dans les hyperminéralocorticismes primitifs ; – la prise de poids, surtout si elle est rapide, amène une donnée quantifiable et précoce, le syndrome œdémateux n’apparaissant cliniquement qu’au-délà de 3 kg, les épanchements sérieux au-delà de 6 kg. Dans les syndromes œdémateux majeurs, la prise de poids peut être massive (parfois > 30 kg en quelques semaines) ; – la recherche d’œdèmes au cours d’une rétention hydrosodée modérée se fera au niveau des membres inférieurs (jambes en poteaux) chez un sujet ambulatoire, et au niveau des zones déclives chez un sujet couché (empâtement lombaire, de la face postérieure des cuisses, rétrotibial). Ces œdèmes blancs, mous, indolores, gardent l’empreinte du doigt à la pression (signe du godet) ; – la recherche clinique d’une anasarque (extension aux séreuses) sera aidée par la pratique orientée de radiographies (épanchements pleuraux, œdème pulmonaire interstitiel) et d’échographies (recherche d’ascite, d’un épanchement péricardique). • Diagnostic biologique : l’hyperhydratation extracellulaire s’accompagne d’une diminution des protides et de l’hématocrite. Cependant, une hypoprotidémie
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Régulation du bilan du sodium Le volume extracellulaire est déterminé par le contenu (et non la concentration) en sodium extracellulaire. En effet, une augmentation du contenu en sodium induite par un déséquilibre du bilan sodé (entrées supérieures aux sorties) s’accompagne d’une rétention proportionnelle d’eau car la natrémie (l’osmolalité plasmatique) est maintenue constante par la sécrétion d’ADH. Ainsi, chez un sujet sain, une augmentation du contenu en sodium de 140 mmol s’accompagne nécessairement d’une augmentation du volume extracellulaire de 1 L et d’une prise de 1 kg. La valeur régulée est la volémie efficace, paramètre non mesurable qui peut être défini comme la part de la volémie qui participe effectivement à la perfusion tissulaire. Cette volémie efficace représente normalement 15 % de la volémie, soit la fraction de volume sanguin située dans le système artériel. Elle est un déterminant majeur de la pression artérielle. Bien que l’hypovolémie efficace varie normalement parallèlement aux volumes plasmatique total et extracellulaire, elle peut être indépendante de ces volumes : une hypovolémie efficace peut résulter d’une diminution primitive du débit cardiaque ou des résistances vasculaires périphériques. L’hypovolémie efficace est alors à l’origine d’une stimulation des sytèmes hormonaux capables d’induire une rétention hydrosodée, et donc un état de rétention hydrosodée avec syndrome œdémateux. Une diminution de volémie efficace entraîne l’activation des systèmes rénine-angiotensinealdostérone et sympathique qui stimulent la réabsorption rénale de sodium : – la stimulation des volorécepteurs veineux ou atriaux, et des barorécepteurs artériels sensibles aux variations de pression, active le système sympathique. cette activation sympathique contribue directement à la rétention rénale de sodium ; – la libération de rénine est provoquée par des stimulus systémiques (activation du système sympathique) ou intrarénaux (activation des barorécepteurs de l’appareil juxtaglomérulaire, diminution du débit de chlore dans le fluide tubulaire délivré à la macula densa). La rénine entraîne la production locale et systémique d’angiotensine II. L’angiotensine II systémique stimule la libération surrénalienne d’aldostérone. Ces deux hormones, par leurs effets tubulaires (augmentation de la réabsorption de NaCl du tube proximal pour l’angiotensine II, du tube collecteur pour l’adostérone) et glomérulaires (baisse du DFG) entraînent une rétention sodée rénale. Une augmentation de volémie efficace induite par exemple par une perfusion aiguë de sodium va entraîner la production d’hormones natriurétiques : le facteur atrial natriurétique (ANF) est produit par les oreillettes cardiaques sous l’effet d’une élévation de la tension pariétale. L’ANF induit une augmentation du débit de filtration glomérulaire et diminue la réabsorption tubulaire (essentiellement au niveau du canal collecteur). Par ailleurs, l’ANF inhibe la synthèse de rénine et d’aldostérone.
majeure doit faire rechercher une cause particulière, notamment un syndrome néphrotique et une cirrhose. Dans les syndromes œdémateux, la natrémie est normale lorsque l’hyperhydratation est restreinte au secteur extracellulaire. Une hyponatrémie signe l’existence d’une hyperhydratation intracellulaire associée, le plus souvent liée à une sécrétion d’ADH entraînée par l’hypovolémie efficace. Les hyperminéralocorticismes primitifs se traduisent par une hypertension artérielle, une légère hypernatrémie, une hypokaliémie et une alcalose métabolique. Les dosages de rénine et d’aldostérone plasmatiques en position couché et débout, de la cortisolémie à 8 h et 16 h, d’aldostérone et de cortisol dans le recueil des urines de 24 h motivés par une HTA, associés à des arguments cliniques et (ou) biologiques et (ou) par une HTA sévère résistante à un traitement bien conduit permettent d’établir le diagnostic d’hyperminéralocorticisme et d’orienter les examens complémentaires nécessaires au diagnostic étiologique. Dans les états œdémateux, la natriurèse est généralement effondrée, reflétant la rétention sodée rénale (une natriurèse peut cependant être maintenue sous traitement diurétique). À l’inverse, au cours des hyperminéralocorticismes primtifs, il existe un phénomène d’échappement du fait de l’hypertension artérielle, et la natriurèse est rapidement égale aux apports. Cet échappement explique l’absence de syndrome œdémateux dans les hyperminéralocorticismes primitifs.
4. Traitement • Le traitement des syndromes œdémateux repose sur le traitement étiologique lorsque celui-ci est possible, et le traitement symptomatique du syndrome œdémateux : – la restriction sodée et hydrique constitue l’élément essentiel du traitement puisque, pour entraîner le bilan négatif d’eau et de sodium souhaité, il convient de restreindre au maximum les apports ; – le repos au lit avec surélévation des membres inférieurs aide à la résorption locale des œdèmes et surtout diminue le tonus des systèmes sympathique et rénine-aldostérone et la sécrétion d’ADH, favorisant ainsi l’excrétion rénale d’eau et de sodium ; – le plus souvent, l’utilisation de diurétiques est indispensable pour obtenir la résorption des œdèmes ; le furosémide (Lasilix) est le traitement d’attaque de choix des syndromes œdémateux majeurs. Utilisé à la dose de 40 à 160 mg/j (puis 20 à 60 mg/j en dose d’entretien) lorsque la fonction rénale est préservée, il reste actif au cours de l’insuffisance rénale à condition d’augmenter la posologie. Il expose au risque d’hypokaliémie qu’il convient de prévenir par une supplémentation potassique. Lorsque les œdèmes sont induits par un hyperaldostéronisme secondaire (cirrhose) on utilisera un diurétique épargneur du potassium tels que l’amiloride, le triamtérène, ou la spironolactone disponibles sous différentes formes pharmacologiques, seuls ou en association. Ces traitements sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale en raison du risque d’hyperkaliémie ; • Le traitement des hyperminéralocorticismes repose sur: – le traitement étiologique : arrêt de la prise de réglisse, traitement chirurgical d’une tumeur surrénalienne, traitement substitutif au cours des blocs enzymatiques… ; – le traitement symptomatique de l’hyperminéralocorticisme fera appel à des diurétiques épargneurs de potassium comme l’amiloride ou le triamtérène, ou à un analogue inactif de l’aldostérone : la spironolactone.
Conduite à tenir devant une déshydratation extracellulaire L’apparition d’une déshydratation extracellulaire nécessite la constitution d’un bilan sodé négatif (entrées transitoirement inférieures aux sorties). LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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TABLEAU III Causes principales des états de déshydratation extracellulaire Pertes extrarénales de sodium A. Gastro-intestinales : – diarrhée – fistules ou drainages biliaires, pancréatiques, intestinaux B. Cutanées : – sueurs excessives (mucoviscidose) – brûlures, affections cutanées inflammatoires C. Création d’un « troisième secteur » : – occlusion intestinale, péritonite – pancréatite D. Autres : ponctions péritonéales ou pleurales Pertes rénales de sodium A. Rein normal : – vomissements, fistules ou aspirations gastriques – diurétiques, diurèse osmotique – déficit en minéralocorticoïdes – hypercalcémie, acidose métabolique B. Rein pathologique : – insuffisance rénale chronique (retard à l’adaptation lors de la réduction brutale des apports sodés) – insuffisance rénale chronique avec syndrome d’hyporéninémie et hypoaldostéronisme – néphropathie avec perte de sel : néphropathies interstitielles, acidose tubulaire distale et proimale – syndrome de levée d’obstacle, reprise de diurèse d’insuffisance rénale aiguë – pseudo-hypoaldostéronisme
1. Étiologie Les causes des déshydratations extracellulaires peuvent être subdivisées en pertes rénales et extrarénales de sodium, elles sont résumées dans le tableau III.
2. Physiopathologie Les capacités d’adaptation rénales à un régime pauvre en sodium sont très importantes (la natriurèse pouvant être quasi nulle). L’apparition d’un bilan sodé négatif suppose donc, soit la perte de sécrétions extrarénales riches en sodium, soit une altération primitive des capacités rénales de réabsorption du sodium. • Pertes extrarénales : – lors des diarrhées ou lors de pertes de liquide de sécrétions intestinales, biliaires ou pancréatiques : par fistules ou drainages, la perte de bicarbonate de sodium et de chlorure de sodium aboutit à la création d’une contraction des volumes extracellulaires et d’une acidose métabolique. On peut en rapprocher les séquestrations liquidiennes non extériorisées, et donc difficiles à quantifier, qui peuvent survenir au cours d’occlusions intestinales, péritonites ou pancréatites. Dans toutes ces situations, l’apparition d’une hypovolémie entraîne une réponse rénale appropriée (natriurèse < 10 mmol/L ou par 24 h) ; – la perte (par vomissement, fistule ou aspiration) de liquide gastrique, riche en acide chlorhydrique : elle entraîne une alcalose métabolique. Initialement, cette alcalose induit une perte rénale de sodium, car la quantité de bicarbonate de sodium filtrée dépasse les capacités tubulaires de réabsorption aboutissant à une perte rénale de bicarbonate de sodium. Cette alcalose entraîne également une hypokaliémie (par transfert intracellulaire et par stimulation de l’excrétion rénale de potassium). À l’arrêt des vomissements, la concentration de bicarbonate s’équi774
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Néphrologie-urologie libre à une valeur permettant sa totale réabsorption par le rein. La natriurèse s’effondre (< 10 mmol/24 h). La chlorurie très faible signe la déplétion chlorée ; – pertes sudorales : la sueur contient 50 à 80 mmol/L de NaCl. Une perte notable de sodium par sudation peut se produire dans certaines circonstances comme l’exposition brutale à des températures élevées ou l’exercice physique intense. Lorsqu’un sujet est exposé chroniquement à la chaleur, la concentration en NaCl s’adapte et diminue. Cependant, les patients atteints d’insuffisance surrénale chronique ou de mucoviscidose ont des concentrations de sodium dans la sueur plus élevées que la normale et un défaut d’adaptation à la chaleur. • Pertes rénales : d’une façon générale, deux phases peuvent être distinguées lors de pertes de sodium d’origine rénale : lors de l’installation du trouble, l’excrétion urinaire de sodium est supérieure aux apports, à l’origine d’un bilan négatif de sodium et de la création de la contraction des volumes extracellulaires. Secondairement, la charge sodée filtrée diminue du fait de cette contraction et les systèmes de régulation stimulent les capacités de réabsorption sodée dans les différentes parties du néphron encore fonctionnelles. Progressivement, la natriurèse devient égale aux apports, mais demeure inappropriée à la déshydratation extracellulaire, et un état stable s’instaure. – L’administration de diurétiques entraîne une perte rénale de sodium et expose à divers troubles hydroélectrolytiques associés, fonctions du site d’action de diurétique : l’abus des diurétiques de l’anse (type furosémide) et les diurétiques thiazidiques qui inhibent la réabsorption dans le tube contourné distal entraînent une contraction des volumes cellulaires associée à une alcalose métabolique et à une hypokaliémie. À l’inverse, l’abus de diurétiques agissant sur le tube collecteur cortical (amiloride, spironolactone, triamtérène) ou leur utilisation malgré l’existence d’une réduction néphronique entraîne une contraction des volumes cellulaires associée à une acidose métabolique et à une hyperkaliémie. – Les diurèses osmotiques abordées dans le chapitre des déshydratations intracellulaires, entraînent une perte d’eau supérieure à celle de sodium. La contraction extracellulaire est alors accompagnée d’une déshydratation intracellulaire. – Déficits en aldostérone : la diminution de la réabsorption de sodium dans le tube collecteur cortical, entraîne une contraction du volume extracellulaire associée à une acidose métabolique et à une hyperkaliémie. Le déficit en aldostérone peut être d’origine surrénalienne (insuffisance surrénalienne globale, bloc enzymatique aboutissant à un déficit spécifique en minéralocorticoïdes), ou secondaire à un déficit en rénine associé à certaines insuffisances rénales (syndrome d’hyporéninémie et hypoaldostéronisme au cours de la néphropathie diabétique, de la néphropathie aux antalgiques et AINS par exemple). Rarement, la rénine et l’aldostérone sont très élevées, mais ni l’aldostérone endogène ni l’administration de minéralocorticoïde n’entraînent l’effet rénal attendu. Cette pathologie rare de l’enfance est décrite sous le nom de pseudo-hypoaldostéronisme. – L’hypercalcémie et l’acidose métabolique diminuent la réabsorption tubulaire de sodium et peuvent être responsables d’une contraction des volumes extracellulaires.
3. Diagnostic • Examen clinique : la déshydratation extracellulaire modérée peut s’accompagner de sensations vertigineuses, majorées par l’orthostatisme. Cliniquement, une perte de poids modérée, la diminution du tonus des globes oculaires, un pli cutané, un aplatissement des veines périphériques et jugulaires en position couchée devront être recherchés, ainsi qu’une exagération de la réponse à l’orthostatisme (lors du passage de la position couchée à la position debout, la fréquence cardiaque s’élève de plus de 20 batt/min et les pressions artérielles diastolique et systolique baissent de plus de 20 mmHg). Ces signes indicatifs sont cependant inconstants et non spécifiques. Une contraction sévère des volumes extracellulaires entraîne une stimulation du système sympathique traduite cliniquement par une tachycardie (pouls filant) une vasoconstriction périphérique (marbures, extrémités froides). LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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Points Forts à retenir
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• Les volumes intraet extracellulaires sont maintenus dans les limites physiologiques grâce à l’ajustement permanent, indépendant et coordonné des sorties d’eau et de sodium aux entrées. Cette double régulation (volume intracellulaire/volume extracellulaire) met en jeu des valeurs régulées (osmolalité plasmatique contre volémie efficace), des récepteurs (osmorécepteurs/barorécepteurs carotidiens et de l’artère rénale afférente-volorécepteurs atriaux) et des systèmes de régulation hormonaux ou non hormonaux différents (hormone antidiurétique – soif contre axe rénine angiotensinecatécholamine, facteur atrial natriurétique) permettant la régulation de l’excrétion rénale de l’eau et du sodium. • Les troubles de l’hydratation, rarement liés au dépassement des capacités physiologiques rénales d’adaptation aux variations des entrées d’eau et de sodium, reflètent le plus souvent une altération des fonctions d’excrétion du rein. • Le caractère adapté de la réponse rénale à une modification du bilan de l’eau est jugé sur l’osmolalité urinaire (< 150 mOsm/kg en charge aqueuse aiguë, et > 800 mOsm/kg en restriction hydrique prolongée). • La réponse rénale à une variation de la volémie efficace est jugée sur la natriurèse (< 10 mmol/24 h en déplétion sodée, natriurèse égale aux apports en charge sodée aiguë).
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• Examens biologiques : plusieurs modifications biologiques peuvent témoigner de la contraction : élévation de la protidémie et de l’hématocrite, apparition d’une insuffisance rénale fonctionnelle (élévation de l’urée plasmatique proportionnellement supérieure à celle de la créatininémie), hyperuricémie provoquée par l’augmentation de la réabsorption de l’acide urique. Le dosage de rénine et d’aldostérone plasmatiques dans certains cas permet de diagnostiquer un état d’hyperaldostéronisme secondaire, témoin d’une contraction volémique parfois modérée et infraclinique, ou de poser le diagnostic d’hypoaldostéronisme primaire (rénine élevée, aldostérone basse) ou secondaire (rénine et aldostérone basses). L’analyse de l’ionogramme urinaire (sur les urines de 24 h ou à défaut sur échantillon) oriente vers le mécanisme : la natriurèse est généralement inférieure à 10 mmol/L lorsque la perte sodée est extrarénale (sauf dans les vomissements à la phase initiale) et supérieure ou égale aux apports, et inappropriée lorsque la perte est d’origine rénale. Dans cette dernière circonstance, la natriurèse devient appropriée si la cause s’arrête brutalement : ainsi, à l’arrêt d’un traitement diurétique, il existe une période transitoire au cours de laquelle la contraction persiste, mais la natriurèse est appropriée (< 10 mmol/L), malgré l’origine initialement rénale de la perte sodée. La recherche de diurétiques dans les urines à jeun ou sur le recueil de 24 h est indispensable si la cause de la contraction n’est pas claire, et qu’une prise cachée de diurétiques est envisageable.
4. Traitement Le traitement d’une déshydratation extracellulaire commence si possible par le traitement étiologique et la correction des facteurs aggravants : traitement de la (des) cause(s) d’une diarrhée ou de vomissements, arrêt des traitements diurétiques, arrêt d’un régime pauvre en sel, correction d’une hypercalcémie… L’arrêt de la perte de sodium permet d’éviter l’aggravation de la contraction. La correction de la volémie suppose alors la constitution d’un bilan positif égal au bilan sodé négatif responsable de la contraction. Cette correction doit être favorisée par une supplémentation sodée orale. Lorsqu’il existe des signes hémodynamiques préoccupants (marbrures, extrémités froides, pouls filant, hypotension artérielle) il faut avoir recours à l’administration intraveineuse de succédanés de plasma (Plasmagel, Plasmion) qui vont permettre de restituer une volémie efficace suffisante pour rétablir la perfusion tissulaire périphérique. L’utilisation de ces solutés doit rester limitée et laisser place, dès que les signes hémodynamiques s’améliorent, à une réhydratation par perfusion de solution de NaCl isotonique (9 ‰). ■
POUR EN SAVOIR PLUS Offenstadt G, Maury E. États hyperosmolaires. In : Offenstadt G, Brunette MG (eds). Désordres acido-basiques et hydroélectrolytiques. Coll. Réanimation, eds Blackwell, 1996 : 90-105. Rose BD, Rennke HG. Régulation du bilan de l’eau et du sodium. In : Physiopathologie des affections rénales et des désordres hydroélectriques. Collection l’Essentiel, éditions Pradel, 1995 : 32-74. Désordres du bilan de l’eau. Ibid, 74-107.
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Répartition de l’eau de l’organisme • L’eau représente entre 55 et 60 % du poids du corps chez l’homme 45 et 60 % chez la femme. • Le secteur intracellulaire représente 2/3 de l’eau totale (40 % du poids du corps). • Le secteur extracellulaire représente 1/3 de l’eau totale (20 % du poids du corps) et se subdivise en secteur plasmatique (5 % du poids du corps) et liquide interstitiel (15 % du poids du corps). Les échanges d’eau entre secteur intracellulaire et secteur extracellulaire dépendent essentiellement de la différence d’osmolalité qui peut s’établir de part et d’autre de la membrane cellulaire, et donc des variations de la concentration extracellulaire des osmoles « efficaces » constituées à plus de 95 % par l’ion sodium et les anions qui l’accompagnent: osmolalité extracellulaire efficace = [Na+]p x 2 Les flux nets d’eau et d’électrolytes qui s’établissent à travers la paroi du capillaire entre le secteur plasmatique et le secteur interstitiel, sont déterminés par 2 forces opposées : la différence de pression hydrostatique « décroît » le long du capillaire, et induit un flux liquidien du capillaire vers l’interstitium qui dilue progressivement les protides plasmatiques ; la différence de pression oncotique induit un flux de sens opposé. Elle s’accentue le long du capillaire avec la diminution de la concentration protidique intracapillaire. Le flux net dirigé vers l’interstitium au début du capillaire, s’inverse au-delà du pojnt d’équilibre de filtration. NB : La concentration d’albumine, élément important des échanges entre secteur plasmatique et interstitiel, constitue une part négligeable des osmoles extracellulaires (moins de 1 mOsm/kg d’eau pour 40 g/L). Elle n’intervient donc pas dans les échanges entre secteurs intra- et extracellulaires.
inverse. Une correction trop rapide de la natrémie expose à un risque de déshydratation intracellulaire aiguë, et sa complication neurologique classique : la myélinolyse centropontine associée cliniquement au syndrome de verrouillage (ou locked-in syndrome : tétraplégie, diplégie faciale, perte de la latéralité du regard, conscience normale). Le décès du patient est également possible.
3. Diagnostic positif • Diagnostic clinique et biologique : en dehors des signes neurologiques non spécifiques décrits précédemment, l’hyperhydratation intracellaire se traduit classiquement par une prise de poids, l’existence de muqueuses humides, d’une langue turgescente gardant l’empreinte dentaire. Le diagnostic d’une hyperhydratation intracellulaire repose sur la découverte d’une hyponatrémie sur un ionogramme qui motive la mesure d’osmolalité plasmatique qui est diminuée. • Le diagnostic étiologique d’une hyponatrémie hypotonique comporte plusieurs étapes successives et s’appuie sur l’évaluation de l’état d’hydratation extracellulaire, de la fonction rénale, et la mesure de l’osmolalité urinaire (et éventuellement de la concentration plasmatique d’ADH) contemporaine(s) de l’hyponatrémie : – reconnaître les hyponatrémies secondaires à des apports dépassant la capacité rénale d’excrétion d’eau : . du fait d’une insuffisance rénale avancée (DFG < 20 mL/min) ; . du fait d’une augmentation primitive des apports d’eau (potomanie primaire) : l’hyponatrémie s’accompagne d’une osmolalité urinaire appropriée, inférieure à 100 mOsm/kg d’eau (150 chez le sujet âgé). La diurèse est élevée. La potomanie vraie (essentiellement rencontrée chez les schizophrènes) conduit à des apports d’eau massifs, compulsifs, pouvant dépasser 15 L/24 h voire plusieurs litres sur un bref intervalle de temps dans quelques formes psychotiques graves. Elle expose à des accidents hyponatrémiques aigus pouvant entraîner la mort ; . le plus souvent, l’apparition d’une hyponatrémie est favorisée par la conjonction de plusieurs facteurs : une soif conservée ou augmentée (parfois d’origine organique), une altération modérée de la capacité rénale de dilution et des apports osmotiques faibles qui limitent la diurèse maximale possible : par exemple, si l’osmolalité urinaire minimale atteinte est égale à 80 mOsm/kg d’eau, la diurèse maximale sera de 10 L/24 h ; si les apports osmotiques sont de 800 mOsm/24 h, de 5 L/24 h si les apports osmotiques sont de 400 mOsm/24 h, de 2,5 L/24 h si les apports osmotiques sont de 200 mOsm/24 h. L’hyponatrémie du tea and toast syndrome est observée chez les personnes âgées et (ou) anorexiques qui ont un régime très hypoprotidique et se nourrissent de tartines et de boissons chaudes (tisanes ou thé). L’apport hydrique modérément élevé (3 à 4 L/j) ne peut pas être excrété du fait des faibles apports osmotiques par cette alimentation pauvre en sel et en protides ; – reconnaître les hyponatrémies avec osmolalité urinaire inappropriée à l’hypoosmolalité plasmatique (supérieure à 150 mOsm/kg d’eau), en rapport avec un stimulus volémique de l’ADH : . du fait d’une hypovolémie efficace : l’examen clinique doit rechercher un syndrome œdémateux et l’existence d’épanchements séreux pouvant orienter vers une insuffisance cardiaque congestive, un syndrome néphrotique ou une décompensation cirrhotique. Dans ces syndromes, la pathogénie de l’hyponatrémie est complexe, intriquant à des degrés divers une sécrétion d’ADH stimulée par l’hypovolémie efficace, et un maintien ou une stimulation de la soif ; . du fait d’une hypovolémie vraie : il est parfois difficile de diagnostiquer, reconnaître cliniquement une déshydratation extracellulaire à l’origine d’un stimulus volémique de l’ADH. La réalisation d’une charge sodée permet de retenir ce diagnostic lorsque la correction de la volémie entraîne la correction de la natrémie. À l’inverse, lorsqu’une natriurèse supérieure à 80 mmol/24 h est obtenue, et que l’osmolalité urinaire demeure inappropriée (> 100 mOsm/kg d’eau) à l’hyponatrémie qui persiste, le diagnostic d’hyponatrémie par stimulus volémique de l’ADH peut être écarté ; LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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Régulation du bilan de l’eau Le bilan de l’eau est maintenu équilibré grâce à une double régulation portant sur les entrées (modification de la soif) et l’excrétion rénale d’eau sous le contrôle de l’hormone antidiurétique (ADH). La valeur régulée est l’osmolalité plasmatique dont les variations déterminent les flux d’eau entre secteurs intra- et extracellulaires et donc le volume cellulaire. En situation physiologique, le stimulus essentiel de la sécrétion d’ADH et de la soif est l’osmolalité plasmatique : très faible lorsque l’osmolalité plasmatique est < 280 mOsm/kg d’eau, la sécrétion d’ADH s’élève, au-delà de ce seuil, proportionnellement à l’élévation de l’osmolalité plasmatique. En l’absence d’ADH, l’osmolalité du fluide tubulaire, très basse à la fin du segment de dilution (qui comprend la branche large de Henle et le tube contourné distal), est maintenue jusqu’à l’urine définitive. La fixation de l’ADH à son récepteur V2 induit l’insertion d’une aquaporine dans la membrane cellulaire apicale du tube collecteur rénal. Cette protéine confère à l’épithélium une perméabilité à l’eau importante. Une équilibration osmotique avec l’interstititum hypertonique conduit à la concentration progressive des urines dont témoigne l’élévation de l’osmolalité urinaire. Un sujet qui a un apport hydrique de 2 L/24 h et un apport osmotique de 800 mOsm/24 h a une osmolalité urinaire moyenne de 400 mOsm/kg. Lorsqu’une charge aqueuse prolongée (10 L/24 h) est administrée, le rein élimine transitoirement une quantité d’eau inférieure aux entrées, l’osmolalité plasmatique diminue, le volume intracellulaire tend à augmenter. La diminution de l’osmolalité plasmatique inhibe la sécrétion d’ADH. L’osmolalité urinaire atteint progressivement une valeur minimale (80 mOsm/kg d’eau) qui définit le pouvoir de dilution, tandis que la diurèse devient égale aux apports d’eau. Si une restriction hydrique prolongée est ensuite instituée, le rein élimine transitoirement une quantité d’eau supérieure aux entrées, l’osmolalité plasmatique s’élève et le volume intracellulaire tend à diminuer. L’élévation de l’osmolalité plasmatique stimule la sécrétion d’ADH. L’osmolalité urinaire augmente progressivement pour atteindre, lorsque la natrémie est O 145 mmol/L, une valeur maximale (entre 850 et 1 200 mOsm/kg d’eau) qui définit le pouvoir de concentration. La diurèse est alors inférieure à 0,75 L/24 h. L’osmolalité urinaire maximale (la diurèse minimale) est normalement atteinte lorsque l’osmolalité plasmatique devient supérieure ou égale à 300 mOsm/kg d’eau, valeur qui correspond au seuil physiologique de la soif intense. Ainsi, la régulation des entrées d’eau dans l’organisme par la stimulation du centre hypothalamique de la soif prend le relais de l’adaptation rénale d’excrétion d’eau en cas de déshydratation intracellulaire importante. .../...
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– reconnaître les causes endocriniennes d’hyponatrémie : insuffisance surrénale (par un test à l’ACTH), hypothyroïdie (par un dosage de TSH) ; – avant d’aboutir au diagnostic d’exclusion qu’est le syndrome de sécrétion inapproprié d’ADH (SIADH) dont les étiologies sont résumées dans le tableau I. Dans ce cadre, il est classique de distinguer un tableau clinique très particulier nommé « reset de l’osmostat ». Ce dernier se définit par l’apparition d’une hyponatrémie stable, modérée, associée à une sécrétion d’ADH inappropriée. Cette sécrétion d’ADH est freinable lorsqu’une hyponatrémie plus profonde est induite par une charge aqueuse et stimulable par la restriction hydrique. Cette pathologie est donc caractérisée par un décalage de la relation reliant la natrémie à la sécrétion d’ADH vers des natrémies plus basses. Les patients atteints de ce syndrome doivent être identifiés car l’hyponatrémie qu’ils présentent ne peut pas (la natrémie retournant inéluctablement à sa valeur d’équilibre) et ne doit pas être traitée.
4. Traitement Le degré d’hyponatrémie est corrélé à la fois à l’importance des apports d’eau et au degré d’altération de la capacité rénale à excréter cette eau, l’apparition d’une hyponatrémie signant obligatoirement un bilan d’eau positif relativement au bilan de sodium. Les bases thérapeutiques de l’hyponatrémie sont la restriction hydrique seule, l’administration de chlorure de sodium dans le but de corriger une hypovolémie vraie responsable d’un stimulus volémique de la sécrétion d’ADH, ou encore une restriction hydrosodée. Le choix de la thérapeutique dépend essentiellement de la pathologie d’origine : • une restriction hydrique associée à une restriction sodée est indiquée chez les patients présentant un syndrome œdémateux. On y adjoindra si possible le traitement de sa cause : insuffisance cardiaque congestive, syndrome néphrotique ; • l’administration de chlorure de sodium par voie orale ou par perfusion isotonique permet de corriger les hyponatrémies secondaires aux hypovolémies vraies, quelle qu’en soit l’origine ; • une restriction hydrique isolée est indiquée chez les patients potomanes ou atteints de SIADH. Dans ce cas, du fait du phénomène d’échappement rénal, un apport hydrique modéré et fixe est toléré ; • les hyponatrémies apparaissant au cours des insuffisances thyroïdiennes ou glucocorticoïdes se corrigent avec l’instauration d’une opothérapie substitutive. Les hyponatrémies chroniques doivent être corrigées lentement. Si l’existence de symptômes témoigne du caractère aigu d’une hyponatrémie, il convient de corriger relativement rapidement la natrémie jusqu’à ce que le patient soit asymptomatique puis plus lentement : l’élévation de la natrémie conseillée est de 1,5 à 2 mmol/h sans dépasser 2,5 mmol/h, 15-20 mmol/24 h. L’administration de chlorure de sodium en solution hypertonique (513 mmol/L) associée aux diurétiques de l’anse est alors généralement utilisée, ajustée de sorte à maintenir un bilan sodé nul et un bilan hydrique négatif. Les hyponatrémies aiguës avec augmentation du volume extracellulaire peuvent bénéficier d’une épuration extrarénale, en raison du risque de surcharge extracellulaire induit par la solution hypertonique de chlorure de sodium.
Conduite à tenir devant une déshydratation intracellulaire Les déshydratations intracellulaires sont toujours secondaires à une élévation de l’osmolalité efficace plasmatique. Elles s’accompagnent généralement d’une hypernatrémie, définie par une concentration plasmatique de sodium supérieure à 145 mmol/L. La natrémie peut cependant diminuer lorsque l’hyperosmolalité plasmatique est secondaire à la présence anormale en concentration élevée d’un soluté autre que le sodium, de bas poids moléculaire et osmotiquement actif. Ce soluté est responsable d’un « trou osmotique », défini par la différence entre l’osmolalité mesurée et calculée. Ce soluté peut être d’origine endogène (glucose
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.../... En physiopathologie, les stimulus non osmotiques, essentiellement la baisse de volémie artérielle, prennent une importance primordiale : en cas de diminution de plus de 10 % de la volémie efficace, la neurosécrétion hypothalamique d’ADH est stimulée par des afférences provenant des barorécepteurs carotidiens et volorécepteurs atriaux. Elle induit une sécrétion d’ADH inappropriée à l’hyponatrémie qu’elle entraîne.
au cours de la décompensation diabétique) ou exogène (mannitol, glycocolle, éthylène glycol). Ces états hyperosmolaires avec hypertonicité plasmatique doivent être distingués des états hyperosmolaires sans hypertonicité plasmatique liés à la présence plasmatique en concentration élevée d’un soluté de bas poids moléculaire mais osmotiquement inactif car librement diffusible dans les cellules : principalement l’urée ou l’éthanol. Dans ces états hyperosmolaires, le « trou osmotique » est augmenté mais la tonicité plasmatique, et donc le volume intracellulaire, sont normaux.
1. Causes • Déshydratations intracellulaires avec hypernatrémie : elles sont le plus souvent liées à l’existence de pertes rénales d’eau non compensées, plus rarement, à l’administration ou l’ingestion accidentelle d’une solution hypertonique de chlorure de sodium. Les pertes d’eau pouvant favoriser l’apparition d’une hypernatrémie sont multiples et peuvent être divisées en 3 catégories : l’augmentation des pertes insensibles par la respiration et la sueur (favorisées par l’hyperventilation et l’hyperthermie), les pertes rénales (diabètes insipides centraux ou néphrogéniques, diurèses osmotiques) et gastro-intestinales. • Hyponatrémies hypertoniques : le soluté responsable du trou osmotique peut être d’origine endogène : la situation clinique la plus fréquente d’hyponatrémie hypertonique est la décompensation diabétique. Plus rarement, le soluté est d’origine exogène au décours des intoxications par mannitol, glycocolle, éthylène glycol.
2. Physiopathologie • Création de l’hyperosmolalité extracellulaire : l’apparition d’une hypernatrémie est généralement due à la constitution d’un bilan d’eau négatif (entrées transitoirement inférieures aux sorties). Physiologiquement, toute augmentation de l’excrétion rénale d’eau (ou apparition de pertes extrarénales) entraîne une stimulation de la soif qui suffit, par l’adaptation des entrées d’eau, à maintenir la natrémie dans les limites de la normale. Ainsi, la plupart des patients atteints de diabète insipide neuro- ou néphrogénique adaptent leur prise de boisson à leur diurèse et régulent leur natrémie. L’apparition d’une hypernatrémie signe donc soit un défaut d’accès à l’eau (vieillards, enfants, ou patients ne pouvant ni boire d’eux-mêmes, ni exprimer leur soif), soit plus rarement un défaut primitif de la sensation de soif associé. Ce défaut de la soif doit faire rechercher, par tomodensitométrie ou imagerie par résonance magnétique (IRM), une lésion hypothalamique du centre de la soif (tumeur, anomalies vasculaires essentiellement). Au cours de la décompensation diabétique, l’élévation de la concentration extracellulaire de glucose non diffusible entraîne un flux d’eau de la cellule vers le liquide extracellulaire et donc une déshydratation intracellulaire associée à une hyponatrémie. Secondairement, l’élévation de la concentration plasmatique de glucose est tellement importante que la charge filtrée de glucose dépasse la capacité de réabsorption rénale. Ce glucose non réabsorbé entraîne avec lui de l’eau par un mécanisme de diurèse osmotique. Cette perte d’eau entraîne l’élévation progressive de la natrémie, jusqu’à l’apparition d’une hypernatrémie. • Conséquences de l’hyperosmolalité extracellulaire : l’élévation de l’osmolalité plasmatique entraîne un flux d’eau des cellules vers le liquide extracellulaire. L’hypernatrémie aiguë induit des symptômes neurologiques de gravité variable (léthargie, perte de connaissance, coma) pouvant aller jusqu’au décès du patient. Lorsqu’elle se constitue lentement, l’élévation de l’osmolalité plasmatique est équilibrée par une augmentation du contenu en osmolytes intracelluaires qui permet de réguler le volume cellulaire au cours des hypernatrémies chroniques. Cette adaptation expose à un risque d’hyperhydratation intracellulaire aiguë (potentiellement mortelle) en cas de correction trop rapide de l’hypernatrémie. LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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3. Diagnostic Le diagnostic étiologique d’une hypernatrémie commence par un interrogatoire soigneux du patient et de l’entourage à la recherche notamment d’antécédents évocateurs (diabète sucré) de la prise ou de l’administration récente de solution hypertonique ou de médicaments apportant une grande quantité d’osmoles (par exemple, apports sodés massifs au cours de certaines antibiothérapies), d’un contexte infectieux, d’épisodes diarrhéiques et de vomissements. La diurèse doit être grossièrement quantifiée, ainsi que la sensation de soif, la capacité à l’exprimer et à la satisfaire. Une diabète sucré décompensé doit systématiquement être recherché par la mesure de la glycémie et d’une glycosurie à la bandelette, puis par dosage de laboratoire. La mesure de l’osmolalité urinaire contemporaine de l’osmolalité plasmatique supérieure à 300 mOsm/kg permet de juger du caractère adapté ou non de la réponse rénale à l’hypernatrémie : l’hypernatrémie doit normalement entraîner une hypersécrétion d’ADH et l’élévation de l’osmolalité urinaire. Schématiquement, une osmolalité urinaire supérieure ou égale à 850 mOsm/kg témoigne d’une réponse rénale normale à une sécrétion d’ADH appropriée. À l’inverse, lorsque l’osmolalité urinaire contemporaine d’une hypernatrémie est inférieure à 300 mOsm/kg, il existe une anomalie majeure soit de la sécrétion, soit de la réponse rénale à l’action de l’ADH. Grâce à divers éléments on pourra : • reconnaître les états hyperosmolaires avec hypertonicité plasmatique, secondaires à des pertes d’eau pure ou très pauvre en sodium : – par apport d’eau insuffisant pour compenser les pertes extrarénales normales (osmolalité urinaire appropriée) : . sujets ayant des troubles de conscience ou ne pouvant exprimer leur soif (sujets déments, nourrissons), . trouble primaire de la soif : l’absence de sensation de soif contemporaine d’une osmolalité plasmatique supérieure à 300 mOsm/kg chez un individu pouvant l’exprimer doit faire rechercher une lésion hypothalamique du centre de la soif. Les troubles primitifs de la soif sont fréquemment associés à un diabète insipide neurogénique partiel ; – au cours de la polyurie des diabètes insipides : l’osmolalité urinaire contemporaine de l’hypernatrémie est inappropriée. L’administration par voie sous-cutanée ou nasale de dDAVP (agoniste des récepteurs V2 de l’ADH) permet de distinguer entre : . un diabète insipide d’origine neurogénique (défaut de sécrétion hypothalamique d’ADH) lorsque l’osmolalité s’élève de plus de 50 % dans les 2 h qui suivent l’administration de dDAVP ; . un diabète insipide d’origine néphrogénique (absence de réponse rénale à l’action de cette hormone) lorsque l’osmolalité urinaire varie de moins de 30 % en cas d’origine néphrogénique ; • reconnaître les états hyperosmolaires avec hypertonicité plasmatique secondaires à des pertes d’eau pure avec perte relativement plus faible de sodium : – au cours des polyuries osmotiques, des substances de faible poids moléculaire librement filtrées et peu réabsorbées entraînent la disparition du gradient cortico-papillaire intrarénale. L’osmolalité urinaire est proche de celle du plasma mais la concentration en électrolyte est beaucoup plus faible. La perte d’eau et de sodium ainsi engendrée entraîne une déshydratation globale. Le soluté responsable peut être le glucose (la glycosurie élevée du diabète déséquilibré est la première étiologie de polyurie osmotique), l’urée (polyurie osmotique de la réduction néphronique avancée), le mannitol… ; – au cours des pertes extrarénales (osmolalité urinaire appropriée) : . pertes par vomissements, aspiration gastrique, diarrhée non compensées ; . pertes extrarénales autres, augmentées par l’hyperventilation et l’hyperthermie ; • reconnaître les états hyperosmolaires avec hypertonicité plasmatique, secondaires à une surcharge en solutés non diffusibles (osmolalité urinaire appropriée) : 770
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Hyperhydratation et deshydratation extracellulaires Aspects physiopathologiques • Syndromes œdémateux : la formation d’œdèmes généralisés nécessite une altération d’une ou de plusieurs forces de l’équilibre de Starling qui régit les échanges périphériques entre secteurs plasmatique et interstitiel, l’équilibre étant déplacé en faveur d’une augmentation nette de la filtration. Les œdèmes sont le plus souvent dus à une augmentation de la pression hydrostatique capillaire (secondaires à une élévation de la pression veineuse essentiellement, ou à une vasodilatation artériolaire), plus rarement à une diminution de pression oncotique plasmatique (insuffisance hépatique, syndrome néphrotique, entéropathies exsudatives) ou une élévation de la pression oncotique interstitielle (hypothyroïdie). La constitution d’œdèmes suppose également une rétention majeure et prolongée de sodium par le rein, soit parce que le rein est anormal et ne répond plus à l’expansion (œdèmes primitifs) soit parce que l’expansion s’associe à une hypovolémie efficace. Les mécanismes compensateurs de cette hypovolémie efficace sont à l’origine et soutiennent la rétention sodée par un rein par ailleurs normal (œdèmes secondaires). • Œdèmes primitifs : – la glomérulonéphrite est l’exemple type des œdèmes primitifs : dans les syndromes néphritiques, la rétention rénale primitive provoque un bilan positif de sodium et d’eau (la natriurèse très faible est inférieure aux apports habituels, oligurie) secondairement responsable d’une expansion extracellulaire vasculaire (responsable d’une élévation du débit cardiaque et d’une HTA) et interstitielle. La rénine et l’aldostérone plasmatiques, l’activité sympathique sont diminuées. Le mécanisme de la rétention sodée est mal connu. Dans la majorité des cas, il n’existe pas de syndrome néphrotique, l’albuminémie étant supérieure à 30 g/L, la protéinurie inférieure à 3 g/24 h ; – la déplétion sélective en potassium provoque une augmentation de la réabsorption tubulaire proximale de sodium responsable d’une expansion du volume extracellulaire. Des syndromes œdémateux ont été décrits au cours de déplétions potassiques sévères (supérieures à 500 mmol). • Œdèmes secondaires : l’anomalie primitive est une diminution de la volémie efficace qui peut être définie par la volémie effectivement présente dans le lit artériel. La stimulation des mécanismes régulateurs (dont témoigne l’élévation de la rénine et de l’aldostérone plasmatique) met en jeu les barorécepteurs à haute pression et entraîne un bilan cumulatif de sodium responsable de l’expansion, mais incapable de restaurer la volémie artérielle. Selon l’origine, la diminution de la volémie artérielle est associée ou non à une diminution du volume vasculaire ; .../...
. la surcharge aiguë accidentelle en sodium : le plus fréquemment par apport excessif de bicarbonate molaire au cours d’un arrêt cardiorespiratoire ou d’une hyperkaliémie, entraîne un état d’hyperhydratation globale, . hyperglycémie aiguë, principalement à la phase aiguë initiale de la décompensation diabétique, avant apparition de la diurèse osmotique.
4. Traitement • Hypertonicité plasmatique secondaire à des pertes d’eau pures ± pertes de sodium : comme pour l’hyponatrémie, la correction de l’hypernatrémie, lorsqu’elle est chronique et bien tolérée, doit être effectuée lentement, par administration d’eau. Une hypernatrémie aiguë et symptomatique est corrigée plus rapidement par l’administration orale d’une plus grande quantité d’eau ou en ajoutant une perfusion intraveineuse de solution glucosée hypotonique à 2,5 %. Il est conseillé, en dehors de situations exceptionnelles, de ne pas diminuer la natrémie de plus de 1 mmol/h et 15 mmol/j. La voie orale est toujours privilégiée. Un apport de sodium et de potassium est effectué en fonction du degré de déshydratation extracellulaire qui est pratiquement constamment associé, et de la déplétion potassique. Le déficit hydrique peut être estimé grossièrement à partir du poids corporel du sujet à l’état stable (PDC) et de la natrémie mesurée ([Na]p), par la formule suivante : déficit hydrique = 0,60 x PDC x (([Na]p/140)-l) • Le traitement de la décompensation diabétique associe la réhydratation extraet intracellulaire à l’administration d’insuline et de glucose. • La correction des hypernatrémies aiguës, en particulier celles secondaires à l’administration accidentelle de sodium ou s’accompagnant d’une insuffisance rénale, peut être assurée par hémodialyse.
Hyperhydratation et déshydratation extracellulaires Conduite à tenir devant une hyperhydratation extracellulaire Le volume extracellulaire est déterminé par le contenu (et non la concentration) en sodium extracellulaire. L’hyperhydratation extracellulaire est toujours secondaire à un bilan sodé positif (entrées supérieures aux sorties) qui s’accompagne d’une rétention rapide d’eau du fait de la régulation de la natrémie (l’osmolalité plasmatique) maintenue constante par l’ADH (cf. encadré régulation du bilan de sodium, page 773).
1. Causes Les états d’hyperhydratation extracellulaire sont répertoriées dans le tableau II. Ils peuvent être subdivisés, si on écarte la situation particulière de l’insuffisance rénale avancée, en 2 catégories : – les hyperminéralocorticismes primitifs dont l’hyperaldostéronisme primaire est la principale cause, s’expriment cliniquement par une hypertension artérielle. L’hyperhydratation extracellulaire est trop limitée pour entraîner un syndrome œdémateux du fait du phénomène d’échappement du rein à l’hypersécrétion d’aldostérone ; – les causes de rétentions hydrosodées majeures qui entraînent l’apparition d’œdèmes généralisés.
2. Physiopathologie (cf. encadré) Hyperminéralocorticismes primitifs et tableaux assimilés : l’excès de minéralocorticoïdes circulants, par leur action sur le tube collecteur cortical, induisent une rétention rénale de sodium. Dans 90 % des cas, le stéroïde responsable est LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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.../... – dans l’insuffisance cardiaque chronique congestive, la diminution de la volémie artérielle est secondaire à la diminution du volume d’éjection systolique et du débit cardiaque ; – dans les insuffisances cardiaques à débit élevé (anémie, fistules artérioveineuses, béribéri) la diminution de la volémie artérielle est secondaire à la diminution des résistances artérielles périphériques, et contraste avec l’élévation du débit cardiaque et du volume sanguin total, caractéristique de ces pathologies ; – l’hypovolémie artérielle au cours de la cirrhose hépatique répond de plusieurs mécanismes : au stade précoce de la cirrhose expérimentale, l’hyperpression intrahépatique, par l’intermédiaire de barorécepteurs intrahépatiques, semble responsable de la rétention rénale de sodium (réflexe hépatorénal). La diminution des résistances périphériques induite par la vasodilatation splanchnique et apparition d’angiomes stellaires cutanés et viscéraux et diverses fistules artérioveineuses, explique l’hypovolémie artérielle et le débit cardiaque élevé contemporains. Ce syndrome hyperkinétique participe à la création et à l’entretien de la rétention hydrosodée. La rétention hydrosodée se distribue de façon préférentielle dans le péritoine à partir des capillaires sinusoïdaux et à travers la capsule hépatique. Rapidement, l’augmentation du retour lymphatique vers la circulation systémique est dépassée et une ascite apparaît. Lorsque la rétention hydrosodée est majeure, un syndrome œdémateux généralisé s’installe ; – au cours des syndromes néphrotiques, définis par l’association d’une protéinurie supérieure à 3 g/24 h, d’une hypoalbuminémie (30 < g/L) et d’un syndrome œdémateux. La rétention hydrosodée est induite par une augmentation primitive de la réabsorption tubulaire de NaCl (tubule collecteur) et par les mécanismes régulateurs de l’hypovolémie efficace secondaire à la diminution de la pression oncotique. Une diminution isolée de la pression oncotique ne semble cependant pas pouvoir entraîner à elle seule une hypovolémie efficace tant que l’albuminémie demeure supérieure à 20 g/L. En effet, l’hypoalbuminémie plasmatique s’accompagne d’une diminution proportionnelle de la concentration interstitielle d’albumine ce qui maintient la différence de pression oncotique constante. En réalité, la pathogénie semble un continuum entre des tableaux proches de la glomérulonéphrite aiguë associant un volume plasmatique élevé, une activité rénine et une aldostéronémie basses, et des tableaux avec hypovolémie vraie prédominante, associés à une activité rénine et sympathique et à une aldostéronémie élevées. La diminution de la pression oncotique, éventuellement d’autres mécanismes non élucidés (anomalies de la perméabilité capillaire) seraient à l’origine d’une hypovolémie et de sa persistance malgré la rétention hydrosodée.
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TABLEAU II Causes des hyperhydratations extracellulaires • Expansion du secteur extracellulaire sans œdèmes Régulation du bilan du sodium A. Syndromes d’hyperminéralocorticorticismes primitifs ou apparentés : – syndrome de Conn – hyperplasie bilatérale des surrénales (hyperplasies nodulaires, déficits en 11β-hydroxylase, 17 α-hydroxylase) – intoxication par la glycyrrhizine (réglisse, Antésite) – pseudohyperaldostéronisme (syndrome de Liddle) – excès de glucocorticoïdes B. Insuffisance rénale avancée • États œdémateux généralisés Régulation du bilan du sodium A. Augmentation de la pression hydrostatique capillaire : – cirrhose hépatique – insuffisance cardiaque congestive – néphropathies glomérulaires – toxémie gravidique B. Augmentation de la perméabilité capillaire : – choc anaphylactique, septique, œdème angio-neurotique familial – médicaments vasodilatateurs (minoxidil, inhibiteurs calciques) C. Augmentation de la différence de pression oncotique: – diminution de la pression oncotique plasmatique (albuminémie < 15-20 g/L) . syndrome néphrotique sévère . insuffisance hépatique . gastro-entéropathies exsudatives – augmentation de la pression oncotique interstitielle : hypothyroïdie D. Mécanisme indéterminé : œdèmes cycliques idiopathiques
l’aldostérone. Dans l’intoxication par la réglisse, la rénine et l’aldostérone sont diminuées. La réglisse inhibe la 11β-hydroxystéroïde-déshydrogénase qui catalyse le cortisol en cortisone dans le rein. L’inhibition de cette enzyme démasque l’action minéralocorticoïde du cortisol qui est physiologiquement absente.
3. Diagnostic • Diagnostic clinique et paraclinique : il cherche à déterminer l’extension et les conséquences de la rétention hydrosodée : – la pression artérielle est plutôt basse dans l’insuffisance cardiaque et la cirrhose, et élevée dans les hyperminéralocorticismes primitifs ; – la prise de poids, surtout si elle est rapide, amène une donnée quantifiable et précoce, le syndrome œdémateux n’apparaissant cliniquement qu’au-délà de 3 kg, les épanchements sérieux au-delà de 6 kg. Dans les syndromes œdémateux majeurs, la prise de poids peut être massive (parfois > 30 kg en quelques semaines) ; – la recherche d’œdèmes au cours d’une rétention hydrosodée modérée se fera au niveau des membres inférieurs (jambes en poteaux) chez un sujet ambulatoire, et au niveau des zones déclives chez un sujet couché (empâtement lombaire, de la face postérieure des cuisses, rétrotibial). Ces œdèmes blancs, mous, indolores, gardent l’empreinte du doigt à la pression (signe du godet) ; – la recherche clinique d’une anasarque (extension aux séreuses) sera aidée par la pratique orientée de radiographies (épanchements pleuraux, œdème pulmonaire interstitiel) et d’échographies (recherche d’ascite, d’un épanchement péricardique). • Diagnostic biologique : l’hyperhydratation extracellulaire s’accompagne d’une diminution des protides et de l’hématocrite. Cependant, une hypoprotidémie
Néphrologie-urologie
Régulation du bilan du sodium Le volume extracellulaire est déterminé par le contenu (et non la concentration) en sodium extracellulaire. En effet, une augmentation du contenu en sodium induite par un déséquilibre du bilan sodé (entrées supérieures aux sorties) s’accompagne d’une rétention proportionnelle d’eau car la natrémie (l’osmolalité plasmatique) est maintenue constante par la sécrétion d’ADH. Ainsi, chez un sujet sain, une augmentation du contenu en sodium de 140 mmol s’accompagne nécessairement d’une augmentation du volume extracellulaire de 1 L et d’une prise de 1 kg. La valeur régulée est la volémie efficace, paramètre non mesurable qui peut être défini comme la part de la volémie qui participe effectivement à la perfusion tissulaire. Cette volémie efficace représente normalement 15 % de la volémie, soit la fraction de volume sanguin située dans le système artériel. Elle est un déterminant majeur de la pression artérielle. Bien que l’hypovolémie efficace varie normalement parallèlement aux volumes plasmatique total et extracellulaire, elle peut être indépendante de ces volumes : une hypovolémie efficace peut résulter d’une diminution primitive du débit cardiaque ou des résistances vasculaires périphériques. L’hypovolémie efficace est alors à l’origine d’une stimulation des sytèmes hormonaux capables d’induire une rétention hydrosodée, et donc un état de rétention hydrosodée avec syndrome œdémateux. Une diminution de volémie efficace entraîne l’activation des systèmes rénine-angiotensinealdostérone et sympathique qui stimulent la réabsorption rénale de sodium : – la stimulation des volorécepteurs veineux ou atriaux, et des barorécepteurs artériels sensibles aux variations de pression, active le système sympathique. cette activation sympathique contribue directement à la rétention rénale de sodium ; – la libération de rénine est provoquée par des stimulus systémiques (activation du système sympathique) ou intrarénaux (activation des barorécepteurs de l’appareil juxtaglomérulaire, diminution du débit de chlore dans le fluide tubulaire délivré à la macula densa). La rénine entraîne la production locale et systémique d’angiotensine II. L’angiotensine II systémique stimule la libération surrénalienne d’aldostérone. Ces deux hormones, par leurs effets tubulaires (augmentation de la réabsorption de NaCl du tube proximal pour l’angiotensine II, du tube collecteur pour l’adostérone) et glomérulaires (baisse du DFG) entraînent une rétention sodée rénale. Une augmentation de volémie efficace induite par exemple par une perfusion aiguë de sodium va entraîner la production d’hormones natriurétiques : le facteur atrial natriurétique (ANF) est produit par les oreillettes cardiaques sous l’effet d’une élévation de la tension pariétale. L’ANF induit une augmentation du débit de filtration glomérulaire et diminue la réabsorption tubulaire (essentiellement au niveau du canal collecteur). Par ailleurs, l’ANF inhibe la synthèse de rénine et d’aldostérone.
majeure doit faire rechercher une cause particulière, notamment un syndrome néphrotique et une cirrhose. Dans les syndromes œdémateux, la natrémie est normale lorsque l’hyperhydratation est restreinte au secteur extracellulaire. Une hyponatrémie signe l’existence d’une hyperhydratation intracellulaire associée, le plus souvent liée à une sécrétion d’ADH entraînée par l’hypovolémie efficace. Les hyperminéralocorticismes primitifs se traduisent par une hypertension artérielle, une légère hypernatrémie, une hypokaliémie et une alcalose métabolique. Les dosages de rénine et d’aldostérone plasmatiques en position couché et débout, de la cortisolémie à 8 h et 16 h, d’aldostérone et de cortisol dans le recueil des urines de 24 h motivés par une HTA, associés à des arguments cliniques et (ou) biologiques et (ou) par une HTA sévère résistante à un traitement bien conduit permettent d’établir le diagnostic d’hyperminéralocorticisme et d’orienter les examens complémentaires nécessaires au diagnostic étiologique. Dans les états œdémateux, la natriurèse est généralement effondrée, reflétant la rétention sodée rénale (une natriurèse peut cependant être maintenue sous traitement diurétique). À l’inverse, au cours des hyperminéralocorticismes primtifs, il existe un phénomène d’échappement du fait de l’hypertension artérielle, et la natriurèse est rapidement égale aux apports. Cet échappement explique l’absence de syndrome œdémateux dans les hyperminéralocorticismes primitifs.
4. Traitement • Le traitement des syndromes œdémateux repose sur le traitement étiologique lorsque celui-ci est possible, et le traitement symptomatique du syndrome œdémateux : – la restriction sodée et hydrique constitue l’élément essentiel du traitement puisque, pour entraîner le bilan négatif d’eau et de sodium souhaité, il convient de restreindre au maximum les apports ; – le repos au lit avec surélévation des membres inférieurs aide à la résorption locale des œdèmes et surtout diminue le tonus des systèmes sympathique et rénine-aldostérone et la sécrétion d’ADH, favorisant ainsi l’excrétion rénale d’eau et de sodium ; – le plus souvent, l’utilisation de diurétiques est indispensable pour obtenir la résorption des œdèmes ; le furosémide (Lasilix) est le traitement d’attaque de choix des syndromes œdémateux majeurs. Utilisé à la dose de 40 à 160 mg/j (puis 20 à 60 mg/j en dose d’entretien) lorsque la fonction rénale est préservée, il reste actif au cours de l’insuffisance rénale à condition d’augmenter la posologie. Il expose au risque d’hypokaliémie qu’il convient de prévenir par une supplémentation potassique. Lorsque les œdèmes sont induits par un hyperaldostéronisme secondaire (cirrhose) on utilisera un diurétique épargneur du potassium tels que l’amiloride, le triamtérène, ou la spironolactone disponibles sous différentes formes pharmacologiques, seuls ou en association. Ces traitements sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale en raison du risque d’hyperkaliémie ; • Le traitement des hyperminéralocorticismes repose sur: – le traitement étiologique : arrêt de la prise de réglisse, traitement chirurgical d’une tumeur surrénalienne, traitement substitutif au cours des blocs enzymatiques… ; – le traitement symptomatique de l’hyperminéralocorticisme fera appel à des diurétiques épargneurs de potassium comme l’amiloride ou le triamtérène, ou à un analogue inactif de l’aldostérone : la spironolactone.
Conduite à tenir devant une déshydratation extracellulaire L’apparition d’une déshydratation extracellulaire nécessite la constitution d’un bilan sodé négatif (entrées transitoirement inférieures aux sorties). LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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TABLEAU III Causes principales des états de déshydratation extracellulaire Pertes extrarénales de sodium A. Gastro-intestinales : – diarrhée – fistules ou drainages biliaires, pancréatiques, intestinaux B. Cutanées : – sueurs excessives (mucoviscidose) – brûlures, affections cutanées inflammatoires C. Création d’un « troisième secteur » : – occlusion intestinale, péritonite – pancréatite D. Autres : ponctions péritonéales ou pleurales Pertes rénales de sodium A. Rein normal : – vomissements, fistules ou aspirations gastriques – diurétiques, diurèse osmotique – déficit en minéralocorticoïdes – hypercalcémie, acidose métabolique B. Rein pathologique : – insuffisance rénale chronique (retard à l’adaptation lors de la réduction brutale des apports sodés) – insuffisance rénale chronique avec syndrome d’hyporéninémie et hypoaldostéronisme – néphropathie avec perte de sel : néphropathies interstitielles, acidose tubulaire distale et proimale – syndrome de levée d’obstacle, reprise de diurèse d’insuffisance rénale aiguë – pseudo-hypoaldostéronisme
1. Étiologie Les causes des déshydratations extracellulaires peuvent être subdivisées en pertes rénales et extrarénales de sodium, elles sont résumées dans le tableau III.
2. Physiopathologie Les capacités d’adaptation rénales à un régime pauvre en sodium sont très importantes (la natriurèse pouvant être quasi nulle). L’apparition d’un bilan sodé négatif suppose donc, soit la perte de sécrétions extrarénales riches en sodium, soit une altération primitive des capacités rénales de réabsorption du sodium. • Pertes extrarénales : – lors des diarrhées ou lors de pertes de liquide de sécrétions intestinales, biliaires ou pancréatiques : par fistules ou drainages, la perte de bicarbonate de sodium et de chlorure de sodium aboutit à la création d’une contraction des volumes extracellulaires et d’une acidose métabolique. On peut en rapprocher les séquestrations liquidiennes non extériorisées, et donc difficiles à quantifier, qui peuvent survenir au cours d’occlusions intestinales, péritonites ou pancréatites. Dans toutes ces situations, l’apparition d’une hypovolémie entraîne une réponse rénale appropriée (natriurèse < 10 mmol/L ou par 24 h) ; – la perte (par vomissement, fistule ou aspiration) de liquide gastrique, riche en acide chlorhydrique : elle entraîne une alcalose métabolique. Initialement, cette alcalose induit une perte rénale de sodium, car la quantité de bicarbonate de sodium filtrée dépasse les capacités tubulaires de réabsorption aboutissant à une perte rénale de bicarbonate de sodium. Cette alcalose entraîne également une hypokaliémie (par transfert intracellulaire et par stimulation de l’excrétion rénale de potassium). À l’arrêt des vomissements, la concentration de bicarbonate s’équi774
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Néphrologie-urologie libre à une valeur permettant sa totale réabsorption par le rein. La natriurèse s’effondre (< 10 mmol/24 h). La chlorurie très faible signe la déplétion chlorée ; – pertes sudorales : la sueur contient 50 à 80 mmol/L de NaCl. Une perte notable de sodium par sudation peut se produire dans certaines circonstances comme l’exposition brutale à des températures élevées ou l’exercice physique intense. Lorsqu’un sujet est exposé chroniquement à la chaleur, la concentration en NaCl s’adapte et diminue. Cependant, les patients atteints d’insuffisance surrénale chronique ou de mucoviscidose ont des concentrations de sodium dans la sueur plus élevées que la normale et un défaut d’adaptation à la chaleur. • Pertes rénales : d’une façon générale, deux phases peuvent être distinguées lors de pertes de sodium d’origine rénale : lors de l’installation du trouble, l’excrétion urinaire de sodium est supérieure aux apports, à l’origine d’un bilan négatif de sodium et de la création de la contraction des volumes extracellulaires. Secondairement, la charge sodée filtrée diminue du fait de cette contraction et les systèmes de régulation stimulent les capacités de réabsorption sodée dans les différentes parties du néphron encore fonctionnelles. Progressivement, la natriurèse devient égale aux apports, mais demeure inappropriée à la déshydratation extracellulaire, et un état stable s’instaure. – L’administration de diurétiques entraîne une perte rénale de sodium et expose à divers troubles hydroélectrolytiques associés, fonctions du site d’action de diurétique : l’abus des diurétiques de l’anse (type furosémide) et les diurétiques thiazidiques qui inhibent la réabsorption dans le tube contourné distal entraînent une contraction des volumes cellulaires associée à une alcalose métabolique et à une hypokaliémie. À l’inverse, l’abus de diurétiques agissant sur le tube collecteur cortical (amiloride, spironolactone, triamtérène) ou leur utilisation malgré l’existence d’une réduction néphronique entraîne une contraction des volumes cellulaires associée à une acidose métabolique et à une hyperkaliémie. – Les diurèses osmotiques abordées dans le chapitre des déshydratations intracellulaires, entraînent une perte d’eau supérieure à celle de sodium. La contraction extracellulaire est alors accompagnée d’une déshydratation intracellulaire. – Déficits en aldostérone : la diminution de la réabsorption de sodium dans le tube collecteur cortical, entraîne une contraction du volume extracellulaire associée à une acidose métabolique et à une hyperkaliémie. Le déficit en aldostérone peut être d’origine surrénalienne (insuffisance surrénalienne globale, bloc enzymatique aboutissant à un déficit spécifique en minéralocorticoïdes), ou secondaire à un déficit en rénine associé à certaines insuffisances rénales (syndrome d’hyporéninémie et hypoaldostéronisme au cours de la néphropathie diabétique, de la néphropathie aux antalgiques et AINS par exemple). Rarement, la rénine et l’aldostérone sont très élevées, mais ni l’aldostérone endogène ni l’administration de minéralocorticoïde n’entraînent l’effet rénal attendu. Cette pathologie rare de l’enfance est décrite sous le nom de pseudo-hypoaldostéronisme. – L’hypercalcémie et l’acidose métabolique diminuent la réabsorption tubulaire de sodium et peuvent être responsables d’une contraction des volumes extracellulaires.
3. Diagnostic • Examen clinique : la déshydratation extracellulaire modérée peut s’accompagner de sensations vertigineuses, majorées par l’orthostatisme. Cliniquement, une perte de poids modérée, la diminution du tonus des globes oculaires, un pli cutané, un aplatissement des veines périphériques et jugulaires en position couchée devront être recherchés, ainsi qu’une exagération de la réponse à l’orthostatisme (lors du passage de la position couchée à la position debout, la fréquence cardiaque s’élève de plus de 20 batt/min et les pressions artérielles diastolique et systolique baissent de plus de 20 mmHg). Ces signes indicatifs sont cependant inconstants et non spécifiques. Une contraction sévère des volumes extracellulaires entraîne une stimulation du système sympathique traduite cliniquement par une tachycardie (pouls filant) une vasoconstriction périphérique (marbures, extrémités froides). LA REVUE DU PRATICIEN (Paris) 1997, 47
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Points Forts à retenir
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• Les volumes intraet extracellulaires sont maintenus dans les limites physiologiques grâce à l’ajustement permanent, indépendant et coordonné des sorties d’eau et de sodium aux entrées. Cette double régulation (volume intracellulaire/volume extracellulaire) met en jeu des valeurs régulées (osmolalité plasmatique contre volémie efficace), des récepteurs (osmorécepteurs/barorécepteurs carotidiens et de l’artère rénale afférente-volorécepteurs atriaux) et des systèmes de régulation hormonaux ou non hormonaux différents (hormone antidiurétique – soif contre axe rénine angiotensinecatécholamine, facteur atrial natriurétique) permettant la régulation de l’excrétion rénale de l’eau et du sodium. • Les troubles de l’hydratation, rarement liés au dépassement des capacités physiologiques rénales d’adaptation aux variations des entrées d’eau et de sodium, reflètent le plus souvent une altération des fonctions d’excrétion du rein. • Le caractère adapté de la réponse rénale à une modification du bilan de l’eau est jugé sur l’osmolalité urinaire (< 150 mOsm/kg en charge aqueuse aiguë, et > 800 mOsm/kg en restriction hydrique prolongée). • La réponse rénale à une variation de la volémie efficace est jugée sur la natriurèse (< 10 mmol/24 h en déplétion sodée, natriurèse égale aux apports en charge sodée aiguë).
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• Examens biologiques : plusieurs modifications biologiques peuvent témoigner de la contraction : élévation de la protidémie et de l’hématocrite, apparition d’une insuffisance rénale fonctionnelle (élévation de l’urée plasmatique proportionnellement supérieure à celle de la créatininémie), hyperuricémie provoquée par l’augmentation de la réabsorption de l’acide urique. Le dosage de rénine et d’aldostérone plasmatiques dans certains cas permet de diagnostiquer un état d’hyperaldostéronisme secondaire, témoin d’une contraction volémique parfois modérée et infraclinique, ou de poser le diagnostic d’hypoaldostéronisme primaire (rénine élevée, aldostérone basse) ou secondaire (rénine et aldostérone basses). L’analyse de l’ionogramme urinaire (sur les urines de 24 h ou à défaut sur échantillon) oriente vers le mécanisme : la natriurèse est généralement inférieure à 10 mmol/L lorsque la perte sodée est extrarénale (sauf dans les vomissements à la phase initiale) et supérieure ou égale aux apports, et inappropriée lorsque la perte est d’origine rénale. Dans cette dernière circonstance, la natriurèse devient appropriée si la cause s’arrête brutalement : ainsi, à l’arrêt d’un traitement diurétique, il existe une période transitoire au cours de laquelle la contraction persiste, mais la natriurèse est appropriée (< 10 mmol/L), malgré l’origine initialement rénale de la perte sodée. La recherche de diurétiques dans les urines à jeun ou sur le recueil de 24 h est indispensable si la cause de la contraction n’est pas claire, et qu’une prise cachée de diurétiques est envisageable.
4. Traitement Le traitement d’une déshydratation extracellulaire commence si possible par le traitement étiologique et la correction des facteurs aggravants : traitement de la (des) cause(s) d’une diarrhée ou de vomissements, arrêt des traitements diurétiques, arrêt d’un régime pauvre en sel, correction d’une hypercalcémie… L’arrêt de la perte de sodium permet d’éviter l’aggravation de la contraction. La correction de la volémie suppose alors la constitution d’un bilan positif égal au bilan sodé négatif responsable de la contraction. Cette correction doit être favorisée par une supplémentation sodée orale. Lorsqu’il existe des signes hémodynamiques préoccupants (marbrures, extrémités froides, pouls filant, hypotension artérielle) il faut avoir recours à l’administration intraveineuse de succédanés de plasma (Plasmagel, Plasmion) qui vont permettre de restituer une volémie efficace suffisante pour rétablir la perfusion tissulaire périphérique. L’utilisation de ces solutés doit rester limitée et laisser place, dès que les signes hémodynamiques s’améliorent, à une réhydratation par perfusion de solution de NaCl isotonique (9 ‰). ■
POUR EN SAVOIR PLUS Offenstadt G, Maury E. États hyperosmolaires. In : Offenstadt G, Brunette MG (eds). Désordres acido-basiques et hydroélectrolytiques. Coll. Réanimation, eds Blackwell, 1996 : 90-105. Rose BD, Rennke HG. Régulation du bilan de l’eau et du sodium. In : Physiopathologie des affections rénales et des désordres hydroélectriques. Collection l’Essentiel, éditions Pradel, 1995 : 32-74. Désordres du bilan de l’eau. Ibid, 74-107.