00-1728

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Dépistage néonatal de la phénylcétonurie et de l’hypothyroïdie DR Nicole MAURIN, PR Jacques SARLES Association régionale d’étude et de dépistage des encéphalopathies, malformations et affections génétiques, hôpital d’enfants de la Timone, 13385 Marseille Cedex 5.

Points Forts à comprendre • Le dépistage néonatal est une action de santé publique, visant à reconnaître et traiter dès la naissance des affections constitutionnelles graves. • Tous les nouveau-nés de France métropolitaine et des départements et territoires d’outre-mer (environ 700 000/an) y sont soumis grâce à une organisation très rigoureuse. • Les maladies qui en font l’objet (phénylcétonurie, hypothyroïdie, hyperplasie congénitale des surrénales, drépanocytose) doivent répondre à des critères très stricts.

De nombreuses maladies, constitutionnelles ou acquises, se révèlent tôt dans la vie. Parmi elles, quelques-unes sont curables lorsqu’elles sont reconnues et traitées précocement. C’est le but du dépistage néonatal de mettre en place les moyens pour la recherche de ces maladies chez tous les nouveau-nés et leur prise en charge précoce lorsque le diagnostic est confirmé.

La phénylcétonurie et l’hypothyroïdie répondent à tous ces critères et représentent donc les modèles du dépistage néonatal.

Phénylcétonurie La phénylcétonurie est une amino-acidopathie héréditaire du métabolisme de la phénylalanine, identifiée par Fölling en 1934.

Symptômes cliniques La phénylcétonurie de Fölling (avant le dépistage) était une encéphalopathie progressive, apparaissant après quelques mois de vie ; profonde, aboutissant à un quotient intellectuel inférieur à 50 ; associée à des troubles des phanères (« enfants blonds aux yeux bleus »), une microcéphalie, des convulsions, des troubles du comportement (agitation), une odeur particulière des urines dite de « souris », pouvant atteindre plusieurs membres d’une fratrie. Actuellement (avec un traitement rigoureux et surveillé), l’enfant se développe normalement. La femme phénylcétonurique en âge de procréer est un cas particulier : l’hyperphénylalaninémie maternelle est toxique pour l’organogenèse du fœtus (voir : Pour approfondir).

Critères du dépistage néonatal Pour qu’une maladie puisse bénéficier d’un dépistage néonatal de masse il faut qu’elle satisfasse à plusieurs critères. Elle doit être reconnaissable à la période néonatale avant que la sémiologie ne soit apparente et irréversible. Son pronostic doit être grave lorsqu’elle n’est pas traitée. Elle doit être traitable avec d’autant plus d’efficacité que le traitement est débuté tôt dans le jeune âge. Ce doit être une maladie de fréquence élevée dans la population (> 1/15 000 naissances). On doit connaître ses « marqueurs » spécifiques. Une méthode de dosage facile, sensible, spécifique, apte à discriminer la maladie, applicable à un grand nombre et d’un coût moindre par rapport au coût de la maladie doit être connue. Les sujets « suspects » doivent être suivis pour la confirmation du diagnostic, la mise en route du traitement et la surveillance. 1728

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Mécanismes biochimiques La phénylcétonurie est due à un déficit en phénylalaninehydroxylase. Cette enzyme hépatique transforme la phénylalanine en tyrosine. Le bloc enzymatique aboutit à l’accumulation de phénylalanine et à un déficit en tyrosine. Des voies métaboliques secondaires font apparaître des dérivés urinaires (acide phénylpyruvique et acide orthohydroxyphényl-acétique) dont l’odeur caractéristique a donné son nom à la maladie. L’accumulation de la phénylalanine entrave la myélinisation correcte des fibres nerveuses. Parfois, le déficit en phénylalanine hydroxylase n’est que partiel et le régime est alors moins sévère. D’autres fois, le régime n’entraîne aucune amélioration lorsque le déficit congénital ne concerne pas la phénylalanine hydroxylase mais son système cofactoriel

Pédiatrie B 262 (2nde partie)

Régénération du cofacteur sous forme active

Hydroxylations

Synthèse de la tétrahydrobioptérine

Tyrosine

Guanosine triphosphate (GTP)

q-Dihydrobioptérine (q. BH2) Tyrosine hydroxylase (TH)

Dihydroptéridine réductase (DHPR)

DOPA Tryptophane Tétrahydrobioptérine (BH4)

Tryptophane Hydroxylase (Tr pH) 5-OH Tryptophane

GTP Cyclo-hydrolase (GTP c.h.) Dihydronéoptérine triphosphate 6-Pyruvoyl tétrahydroptérine synthétase (6 PTS) 6-Pyruvoyl tétrahydroptérine 6-Pyruvoyl, tétrahydroptéridine réductase (PTR)

Phénylalanine Hydroxylase (PAH) Phénylalanine

Tyrosine

Ac. phénylpyruvique (APP) Ac. parahydroxyacitique (ac. p. OHPA)

Schéma simplifié du métabolisme de la phénylalanine et de son système cofactoriel.

(bioptérines). D’autres enzymes sont alors concernées et le seul régime pauvre en phénylalanine est insuffisant. Il s’agit de formes au pronostic sévère.

Génétique La phénylcétonurie est une maladie héréditaire récessive autosomique. Le gène de la phénylhydroxylase a été localisé en 1983 par Woo sur le bras long du chromosome 12 en q22 q24. C’est un gène long de 90 kb qui comporte 13 exons et des grands introns. Les mutations sont ponctuelles. Il existe un taux faible de mutation. Le diagnostic prénatal est possible par analyse moléculaire, mais discutable sur le plan éthique.

Traitement Il consiste en un régime pauvre en phénylalanine, institué par Bickel en 1954. • Il a pour but de réduire le taux de phénylalanine, tout en maintenant des apports caloriques et protidiques normaux. Il faut toutefois maintenir un taux sanguin entre 2 et 5 mg/100 mL (ou 120 et 300 µmol/L) car la phénylalanine est un acide aminé essentiel, indispensable en particulier pour la synthèse protéique cérébrale. La tolérance alimentaire est la quantité de phénylalanine qu’il faut apporter dans l’alimentation, pour atteindre le taux d’équilibre sanguin recherché. Dans la forme classique, la tolérance alimentaire est en moyenne de 300 mg/j (la consommation moyenne est de 2 000 à 3 000 mg/j en France).

• Le régime repose sur l’interdiction de tous les produits à forte teneur protidique (viande, poisson, œufs, lait, laitages, fromages, céréales). Les produits à faible teneur (fruits et légumes) sont autorisés en quantité limitée. Ces aliments sont donc pesés. Les glucides et les lipides sont autorisés à volonté. Le maintien d’un apport protidique suffisant est assuré par l’apport de substituts dépourvus de phénylalanine (mélanges d’acides aminés, produits diététiques). • Une surveillance régulière du taux de phénylalaninémie est nécessaire pour maintenir le taux d’équilibre. Le dosage est fait à partir de prélèvements capillaires. • Le régime est maintenu de façon stricte jusqu’à l’âge de 8 à 10 ans. Il est ensuite « libéré » en maintenant cependant un taux de phénylalaninémie inférieur à 20 mg/100 mL (ou 1 200 µmol/L).

Modalités du dépistage La phénylcétonurie répond aux critères du dépistage néonatal : notion d’intervalle libre, encéphalopathie grave traitable par un régime pauvre en phénylalanine, de fréquence moyenne 1/15 000, le marqueur est la phénylalanine. Le rapport coût-efficacité est excellent. Le dépistage néonatal a été innové en 1965 par Guthrie. Il a débuté en France en 1967 et a été rendu systématique pour tous les nouveau-nés en 1980 par suite d’une convention entre la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant. Le dépistage néonatal nécessite une organisation rigoureuse.

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DÉPISTAGE NÉONATAL DE LA PHÉNYLCÉTONURIE ET DE L’HYPOTHYROÏDIE

Elle commence à la maternité où s’effectue le prélèvement au 3e jour de vie, par ponction capillaire au talon. Les gouttes de sang sont recueillies sur un carton buvard qui comporte des éléments d’identification du nouveau-né. Ce prélèvement est acheminé par voie postale au centre régional. Il est alors enregistré et distribué au laboratoire. Le prélèvement est analysé selon 3 méthodes de dosage. • Le dosage bactériologique (dit de Guthrie) repose sur le principe de la pousse bactériologique d’une souche de Bacillus subtilis, proportionnelle au taux de phénylalanine. C’est une méthode qualitative qui tend à disparaître. • La méthode fluorimétrique est une méthode biochimique fondée sur la formation d’un composé fluorescent en présence de la ninhydrine et de la leucineL-alanine. Cette méthode est fiable, spécifique, simple et automatisable. • La méthode enzymatique est un dosage colorimétrique spécifique de la phénylalanine après déshalogénisation par une enzyme spécifique. • La valeur seuil est de 3 mg/100 mL ou 180 µmol/L. Au-delà de ce seuil, les sujets positifs font l’objet d’un bilan de confirmation : phénylalaninémie, tyrosinémie sur sérum, chromatographie des acides aminés, phénylalaninurie, dans des conditions de base et sous charge orale en phénylalanine. Les valeurs douteuses font l’objet d’un deuxième contrôle sur carton buvard. • Le dépistage néonatal de la phénylcétonurie aboutit chaque année à la découverte de 50 cas nouveaux en France. Fin 1997, 20 millions de tests avaient été effectués. Ils ont permis de dépister 1 500 cas de phénylcétonurie.

Hypothyroïdie L’hypothyroïdie répond aux critères du dépistage néonatal. L’hypothyroïdie congénitale est la plus fréquente des maladies endocriniennes de l’enfant. Cette fréquence est estimée à 1/4 000. C’est une affection particulièrement grave car les hormones thyroïdiennes sont indispensables au développement du système nerveux central et au développement statural de l’enfant. Avant le dépistage, les hypothyroïdiens risquaient d’être des « nains idiots ». Le dépistage néonatal des hypothyroïdies congénitales, grâce à un diagnostic et surtout un traitement substitutif précoce, peut seul faire disparaître les lourdes séquelles cérébrales qu’entraîne un diagnostic trop tardif.

Mécanismes physiopathologiques Les causes d’hypothyroïdie congénitale sont nombreuses et variées, dominées par les dysgénésies et les troubles de l’hormonogenèse. • Les dysgénésies thyroïdiennes sont responsables de plus de 85 % des hypothyroïdies congénitales reconnues par le dépistage néonatal. Elles atteignent plus souvent les filles que les garçons. La glande peut être complètement absente : c’est l’athyréose (37 % des dysgénésies). Les thyroïdes ectopiques représentent 53 % des dysgénésies. 1730

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Il s’agit d’une anomalie de la migration embryologique qui aboutit à une glande atrophique en position anormale et de valeur fonctionnelle réduite. • Les troubles de l’hormonogenèse concernent 10 % des hypothyroïdies congénitales. Chaque étape de l’hormonogenèse peut être atteinte. Le trouble le plus fréquent concerne l’organification de l’iode par déficit en peroxydase. Ils répondent à une hérédité récessive autosomique. • Les hypothyroïdies transitoires néonatales sont mieux connues depuis le dépistage néonatal de l’hypothyroïdie. Elles regroupent plusieurs variétés comme : les formes du prématuré avec un syndrome de détresse respiratoire, traduisant probablement une immaturité endocrinienne ; les formes iatrogènes : secondaires à des prises médicamenteuses par la mère (iodure, antithyroïdiens de synthèse…) ou à une carence iodée.

Modalités du dépistage de l’hypothyroïdie néonatale Le dépistage de l’hypothyroïdie est couplé avec celui de la phénylcétonurie depuis 1980. L’infrastructure du dépistage est donc la même pour le mode de prélèvement, le transport et le secrétariat. Le marqueur biologique retenu pour le dépistage néonatal est la TSH (thyroid stimulating hormone). Le dosage couplé TSH et thyroxine libre (FT4) n’a pas été retenu en raison d’un coût trop élevé. Les exceptionnelles formes hypothalamo-hypophysaires ne sont donc pas dépistées, leur pronostic est considéré comme meilleur. Le dosage de la TSH se fait par méthode radio-immunologique ou immuno-enzymatique. La valeur seuil est de 30 mUI/L. Les résultats entre 30 et 60 mUI/L sont douteux et font l’objet d’une demande de contrôle sur un 2e prélèvement. Les résultats supérieurs à 60 mUI/L sont considérés comme positifs au dépistage.

Prise en charge des hypothyroïdiens dépistés 1. Confirmation de l’hypothyroïdie primaire Les nouveau-nés, dont le taux est supérieur à 60 UI/L ou dont le 2e prélèvement contrôlé est encore douteux, font l’objet d’un bilan de confirmation plus complet. • L’examen clinique recherche des antécédents familiaux, des signes frustes d’hypothyroïdie : fontanelle postérieure ouverte (supérieure à 0,5 cm), hernie ombilicale, ictère prolongé, constipation avec notion de retard d’émission du méconium, marbrures, macroglossie, somnolence, faciès lunaire, hypotonie axiale. Les 3 premiers signes sont les plus fréquemment rencontrés. L’intensité des signes est fonction du tissu thyroïdien présent. L’examen clinique recherche un goitre . • Le bilan thyroïdien sanguin (TSH, FT3, FT4) confirme ou infirme le diagnostic. L’élévation de la TSH confirme l’hypothyroïdie primaire. Ce bilan apprécie également la gravité biologique de l’hypothyroïdie en fonction de l’élévation de la TSH et de l’effondrement des hormones thyroïdiennes.

Pédiatrie

2. Examens complémentaires L’hypothyroïdie primaire confirmée, un complément de bilan est effectué. • La scintigraphie à l’iode 123 permet le diagnostic anatomique de l’hypothyroïdie congénitale primaire : athyréose, ectopie thyroïdienne le plus souvent en situation sublinguale, glandes en place. Les glandes en place englobent les troubles de l’hormonogenèse. On peut alors observer un goitre. • L’iodémie et l’iodurie recherchent une surcharge iodée. • Le dosage de la TBG (thyroxin binding globulin) recherche un exceptionnel déficit en protéine transporteuse. • Le dosage des anticorps anti-thyroïdiens est effectué.

3. Traitement Il est débuté le plus rapidement possible, actuellement en moyenne entre 10 et 15 jours de vie. Le traitement substitutif est la L-thyroxine (1 goutte = 5 µg). La posologie de départ est de 5 à 8 µg/ kg/j.

4. Surveillance Elle repose sur la courbe staturopondérale, le développement psychomoteur, la recherche de signes de sur- ou sous-dosage ; le dosage de TSH mais également de FT4 ; l’âge osseux ; l’évaluation psychomotrice : quotient de développement (QD) puis quotient intellectuel (QI) : un audiogramme est fait à l’âge de 4 ans à la recherche d’un syndrome de Pendred. Le rythme de la surveillance clinique et biologique est rapproché la 1re année, puis plus espacé les années suivantes. L’âge osseux et l’évaluation psychométrique sont faits à l’âge de 6 mois puis tous les ans. Ces enfants dépistés ont un développement somatique et psychomoteur normal et une bonne insertion scolaire, professionnelle et sociale. Le dépistage de l’hypothyroïdie aboutit chaque année à la découverte de 200 cas nouveaux en France. En fin 1997, 18 millions de nouveau-nés ont bénéficié du dépistage néonatal de l’hypothyroïdie, 4 000 malades ont été dépistés et sont aujourd’hui normaux. Le dépistage néonatal est une action de prévention et de santé publique qui nécessite une organisation pratique sans faille. ■

POUR APPROFONDIR Embryopathie phénylcétonurique L’hyperphénylalaninémie est responsable de l’embryopathie phénylcétonurique. Cette embryopathie comporte un retard de croissance intra-utérin sévère, une microcéphalie, des malformations viscérales essentiellement : cardiaque, oculaire… Elle peut et doit être prévenue par la reprise d’un régime strict pauvre en phénylalanine avant toute conception et pendant toute la grossesse. Cette prévention est une prévention de la « 2e génération » qui nécessite donc une information, une éducation et une contraception efficace des jeunes filles phénylcétonuriques.

POUR EN SAVOIR PLUS Abadie V, Depondt E, Farriaux JP et al. La grossesse et l’enfant de mère phénylcétonurique. Arch Pediatr 1996 ; 3 : 489-96. Frézal J, Boschetti R, Briard ML. Une convention exemplaire. Arch Fr Pediatr 1980 ; 37 : 357. Frézal J, Farriaux JP. La phénylcétonurie hier et aujourd’hui. Bilan de l’action du dépistage néonatal systématique. Rev Prat 1992 ; 42 : 2316-26. Toublanc JE, Boileau P. Le dépistage de l’hypothyroïdie congénitale 20 ans après. MT Endocrinol 1999 ; 1 : 284-7.

Points Forts à retenir • La phénylcétonurie a une fréquence de 1/15 000. En l’absence de traitement, elle entraîne une encéphalopathie profonde. Le dépistage néonatal suivi de la mise en route d’un régime alimentaire spécifique permet un développement cérébral normal. Ce régime, poursuivi jusqu’à l’âge de 8 à 10 ans, doit être impérativement repris chez la jeune femme phénylcétonurique avant la mise en route de toute grossesse, pour éviter l’embryopathie spécifique. • L’hypothyroïdie a une fréquence de 1/4 000. En l’absence de traitement, elle entraîne un nanisme avec encéphalopathie variable. Le traitement précoce et poursuivi à vie permet un développement somatique et intellectuel normal.

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